UNE PIONNIÈRE FORT RESPECTÉE
Quelle est ton implication dans le monde du golf aujourd’hui?
«Je suis beaucoup moins impliquée qu’avant. J’aime participer à des événements organisés par Golf Québec afin d’encourager la relève et j’aime prendre part à des ateliers au club Le Mirage, où travaille ma bonne amie Debbie Savoy-Morel. Enseigner l’art de réussir ses coups roulés et ses coups d’approche m’a toujours plu. Je me suis toutefois retirée il y a deux ans dans ma maison de campagne à Saint-Élie-de-Caxton. Je pense avoir mérité le droit de me reposer à mon âge. Je ne joue pas souvent au golf et ça se limite à un parcours de neuf trous. Je m’adonne à la pêche à la truite, je fais du jardinage et j’aime les feux de camp. J’ai un immense terrain de 20 arpents. Mon rêve serait de construire un parcours de neuf trous afin de permettre aux jeunes de la région d’y pratiquer le golf. »
Les gens te parlent-ils encore aujourd’hui de ta victoire remportée il y a 44 ans au tournoi de Montréal ?
« Bien sûr que oui. Il faut croire que cela a marqué les amateurs de golf, du moins ceux qui sont âgés de 60 ans et plus. J’ai été chanceuse de pouvoir compter sur un mécène comme Jean-Louis Lévesque pour m’appuyer financièrement. Sans son aide, je n’aurais jamais pu atteindre le circuit de la LPGA et être choisie à titre de recrue de l’année en 1972. La victoire que j’ai récoltée à Montréal fut ma seule sur le circuit professionnel et ça m’a suivie durant toute ma carrière de gestionnaire. J’ai bien aimé travailler à titre de directrice de la Classique du Maurier durant 20 ans. Je tenais à participer à l’essor du golf féminin au pays et j’ai fourni mon soutien à bon nombre de golfeuses dans les rangs amateurs. Je les considérais comme étant mes propres enfants. »
Peux-tu nous rappeler ce que tu avais ressenti en triomphant devant ton public en 1973 ?
« Une immense fierté. C’était une grosse histoire dans les médias à l’époque. J’étais très nerveuse de jouer devant une foule aussi impressionnante, surtout que je relevais à peine d’une opération au genou gauche. Heureusement, la pluie avait repoussé la ronde finale du dimanche au lundi, ce qui m’avait permis de reposer quelque peu mon genou. J’avais pu forcer la tenue d’une prolongation en calant un long coup roulé au 18e trou et je n’ai jamais oublié la réaction des amateurs qui avaient explosé de joie en voyant la balle aboutir dans le fond de la coupe. L’énergie transmise par la foule m’avait aidée durant tout le tournoi. »
Quelle avait été la clé pour parvenir à remporter le tournoi dans des conditions d’aussi forte pression ?
« Mon cadet, Mario Brisebois, qui est devenu par la suite un excellent chroniqueur de golf au Journal de
Montréal, aimait me comparer à Seve Ballesteros en ce sens que je savais comment me reprendre après avoir exécuté un mauvais coup. Je me souviens que je fredonnais la chanson Que sera sera pour me détendre entre chaque trou. Mario était un bon conseiller et, de plus, il aidait à contenir la foule qui voulait s’approcher un peu trop près de moi pendant le jeu. J’ai finalement disputé les trois trous de prolongation en restant bien concentrée sur chacun de mes coups pour l’emporter devant les réputées Américaines Sandra Haynie et Judy Rankin. J’avais su bien gérer la pression pour mériter une bourse de 10 000 $, ce qui constituait un joli montant d’argent à l’époque. »
Est-il vrai que Jean-Louis Lévesque s’y était pris d’une façon particulière pour t’inciter à te surpasser à Montréal ?
« Il connaissait beaucoup de succès comme propriétaire de chevaux de course, notamment avec un cheval qui portait le nom de La Prévoyante. Lorsque je me remettais de ma seconde opération au genou gauche, une blessure qui remontait à mes années comme joueuse de basket-ball à l’Université de Montréal, il aimait me taquiner en me rappelant qu’avec un cheval blessé, il y avait deux choix : ou bien il fallait l’abattre, ou bien il fallait l’accoupler pour la reproduction. Je lui avais répondu que je n’étais pas prête pour aucune de ces options ! M. Lévesque a été très généreux à mon endroit. C’est lui qui m’a littéralement placée sur le tremplin. »
Quels autres souvenirs gardes-tu de cette journée du 18 juin 1973 ?
« Je me rappelle que je cherchais mon père du regard afin de me rassurer durant le déroulement de la ronde finale, mais je ne le trouvais pas puisqu’il avait jugé préférable de se cacher derrière les arbres afin de ne pas m’imposer de pression supplémentaire. J’avais cependant réussi à repérer mon frère Gilles. Je lui avais demandé quoi faire avant d’attaquer le 18e trou. Ma brève discussion avec lui m’avait aidée à me calmer. »
Que penses-tu de la jeune Brooke Henderson et de ses chances de rééditer ton exploit en sol canadien ?
« J’adore la voir jouer. Son jeu autour des verts est remarquable. Elle n’a que 19 ans et elle compte déjà quatre victoires sur le circuit professionnel, dont celle remportée l’an dernier au championnat de la LPGA. Je serais bien heureuse si Brooke parvenait à triompher à l’Omnium canadien. Je me souviens d’une visite qu’elle avait faite au club de Beloeil alors qu’elle jouait dans les rangs amateurs et j’avais été vite impressionnée par son immense talent. Brooke doit cependant éviter de se fâcher lorsqu’elle rate un coup durant un tournoi. Il faut essayer de garder le contrôle de ses émotions. »
Parmi tous les honneurs que tu as reçus, lequel est le plus spécial à tes yeux ?
« Je suis décorée de l’Ordre du Canada, je suis intronisée au Temple de la renommée du sport au pays, mais je crois que c’est mon intronisation au Panthéon des sports du Québec que je savoure le plus. Il y a de si grands noms à ce Panthéon. Je suis fière d’en faire partie. »