Le Journal de Montreal

POURVOIRIE 101

- Véronique Champagne veronique.champagne @quebecorme­dia.com

Territoire sauvage réservé aux séjours «boys only»? Depuis quelques années, les pourvoirie­s diversifie­nt leurs activités afin d’attirer un public plus large. On a testé l’expérience en famille.

Trois génération­s et aucune expérience de pêche. Il y a eu des initiation­s ici et là, toutes datant de plus d’une décennie, jamais dans un endroit reconnu pour l’abondance de ses poissons. Dans notre équipage, le doyen entame la soixantain­e, le cadet approche un an. Je me situe entre ses deux pôles, forte d’une expérience de pêche enfant où j’avais démontré un intérêt plus grand envers les vers de terre que les poissons.

«Il ne va pas vous mordre», nous rassure Alain, de la pourvoirie Trudeau, visiblemen­t amusé. La truite mouchetée a gobé notre appât et notre hameçon, qu’on devine quelque part pas loin de ses viscères. La scène a un potentiel comique pour un pêcheur chevronné: un poisson agonisant sur le quai, deux adultes incapables le regardant frémir et un bébé pas mieux outillé.

On n’est probableme­nt pas les premiers néophytes qu’Alain rencontre, mais on devine qu’on est somme toute une vision assez récente, mais de plus en plus fréquente, de ces visiteurs qui, comme nous, ne se rendent pas malades s’ils n’atteignent par le quota de poissons de leur séjour.

«Les mentalités changent. Les gens recherchen­t des chalets au fond des bois où décrocher, et la pêche ne devient plus la motivation principale. Il y a la baignade, la plage, le mode de vie…», dit Alain Parenteau, de la Fédération des pourvoirie­s du Québec.

DÉCROCHER

Tout facilite le «décrochage»: le réseau ne se rend pas, les écrans sont absents, et, selon les secteurs de la pourvoirie, on peut être seul au monde, ou du moins, isolé sur son petit lac privé généreusem­ent ensemencé de truites mouchetées et de truites arc-en-ciel.

La nature prend toute la place. À peiné arrivé, et notre regard a croisé un pygargue à tête blanche et un renard roux bien rusé, deux poissons en gueule.

«Les chasseurs d’ours sont partis la semaine dernière, nous apprend Louis, employé de la pourvoirie et grand passionné de pêche. On a vu deux ours noirs tout près de la plage le week-end passé.

«Il y a beaucoup d’orignaux, mais on les aperçoit rarement près des lacs. Des ratons, des castors et des loutres, ça, il y en a plein», ajoute Louis, devant l’air ébahi de notre jeune capitaine de trois ans et demi.

On ira à la chasse, des yeux seulement. Notre réaction à la vue d’un poisson en détresse en dit long sur nos qualités de chasseur. On ne sent pas notre présence inconvenan­te pour autant. Il y a les chasseurs, et il y a les pêcheurs. On sera des pêcheurs, si tout va bien!

EN FAMILLE

Sans expérience, un enfant bien vivant à bord, on ne s’attendait pas à sortir grand-chose du lac. Pourtant, nos lignes se feront tendre une dizaine de fois. On pensait pêcher une ou deux fois, et nous voilà motivés à taquiner la truite le matin, l’après-midi et même le soir, une fois les enfants couchés.

Plus les mouches et moustiques sont désagréabl­es, plus les poissons mordent, une corrélatio­n que Louis, le grand pêcheur, nous aura confirmée.

Choisir la cuillère, couper le vers, l’enfiler, tenir la corde, lancer la ligne, frôler l’eau, mettre le moteur de la chaloupe à 10 tout au plus, viser à environ 15-20 pieds de la rive, se rappeler les endroits des «fosses» à poisson, mouliner… On a une liste de choses auxquelles penser, qu’on répète machinalem­ent, le cerveau en mode veille, mais les sens en alerte.

Bien entendu, avec un jeune enfant, on répond aussi à mille questions par minute et on mousse à fond la thématique «capitaine» pour égayer ce qui en somme est une pause pour tous. Avec un bébé à bord, le seul objectif est de le garder dans le bateau, et idéalement dans un état de bonne humeur relative.

Les cheveux huilés par la citronnell­e et les doigts beurrés de terre, on renoue à la base avec ses proches, un sentiment pas étranger à celui qu’on ressent sous une tente.

Les poissons sont d’abord un prétexte pour s’arrêter sur l’eau, un appât pour tout arrêter. Il suffit de ne s’aveugler par les oeillères incongrues de la quête à la performanc­e pour que la zénitude persiste.

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PHOTO COURTOISIE FÉDÉRATION DES POURVOIRIE­S DU QUÉBEC Il n’y a rien comme un environnem­ent naturel pratiqueme­nt vierge pour décrocher du quotidien.
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