Le Journal de Montreal

Il enseignait encore le taekwondo deux semaines avant sa mort

Le père de cette discipline au Canada semblait tout droit sorti d’un film d’arts martiaux

- DOMINIQUE SCALI

Il imposait le respect par ses coups de pied d’une précision chirurgica­le et son immense charisme malgré sa petite taille. Il restait d’une humilité déconcerta­nte, même s’il a créé des champions mondiaux et aidé des gens à décrocher de la drogue. Grand maître Chong Soo Lee, le père du taekwondo au Canada, est décédé il y a deux semaines à l’âge de 79 ans, lui qui enseignait encore son sport à des élèves il y a moins d’un mois. Portrait d’un vieux sage qui semblait tout droit sorti des films d’arts martiaux.

« On ne pouvait pas aller magasiner sans se faire arrêter par quelqu’un quelque part qui venait lui serrer la main et lui dire qu’il a changé sa vie », raconte son épouse Hélène Caron, 63 ans, qui est elle-même ceinture noire, 6e dan.

Les proches qu’a contactés Le Journal avaient tous de la difficulté à retenir leurs larmes en parlant de leur père, mari ou mentor. « Il est irremplaça­ble », résume son beau-fils, maître Evangelos Lygeros. C’est lui qui, le coeur gros, reprendra les rênes de l’école familiale qu’a fondée Chong Lee à Montréal il y a plus de quatre décennies.

APPRIS EN CACHETTE

Né en Corée en 1938, Chong Lee a fui la Corée du Nord avec sa famille quand il avait sept ou huit ans pour éviter de subir le régime communiste. « Il a quitté assis sur la barre du bicycle à pédales de son père », raconte Mme Caron.

Il a connu l’occupation japonaise et les horreurs de la guerre, les balles qui sifflent et les soldats qui entrent dans sa maison.

« Je pense qu’il a sublimé beaucoup de ces choseslà par le biais des arts martiaux », suppose sa femme.

Le père de Chong Lee était lui-même ceinture noire de judo et souhaitait que son fils suive ses traces. Or, ce qui intéressai­t vraiment le garçon, c’était plutôt le taekwondo. Il a donc commencé à le pratiquer en cachette, contre la volonté de son père.

« Il avait un grand talent pour le saut et était extrêmemen­t rapide », des aptitudes qui correspond­aient bien à ce sport aérien et dynamique », explique Mme Caron (voir encadré).

Son oncle payait secrètemen­t ses cours. Le garçon devait se cacher ou se rendre chez des amis pour laver son dobok, l’uniforme blanc qu’il portait spécifique­ment pour le taekwondo, raconte-t-elle.

L’AMOUR AU QUÉBEC

Attiré par le reste du monde, Chong Lee a quitté la Corée en 1962. Il s’est d’abord installé à Washington dans le but d’étudier en génie, mais il y a rencontré une Québécoise, sa première femme et mère de ses enfants. Il est donc arrivé au Québec en 1964, où il a implanté le taekwondo à une époque où personne ne connaissai­t cet art martial.

De décennie en décennie, le taekwondo a gagné du terrain au pays, au point où le Canada a récolté une médaille de bronze dès la première apparition de ce sport aux Jeux olympiques, en 2000 à Sydney. Et c’est en partie grâce à l’héritage de Chong Lee, explique Wayne Mitchell, président de Taekwondo Canada.

« Beaucoup des athlètes qui se sont illustrés à l’internatio­nal venaient de son club ». Personne au pays n’a formé autant d’élèves que lui, soit environ 400 000, selon ses proches.

Perfection­niste, maître Lee pouvait détecter en un clin d’oeil les détails à corriger chez ses élèves, racontent ses proches. Il voyageait beaucoup, était sans cesse à la recherche de nouvelles techniques à adapter de champions de partout dans le monde. Il retournait d’ailleurs régulièrem­ent en Corée, où il a obtenu son 9e dan, le plus haut niveau atteignabl­e en taekwondo avant l’ultime titre.

« J’ai rarement vu quelqu’un donner des coups de pied aussi précis », avoue sa fille Sheila Lee.

Strict et chaleureux, il savait comment amener ses élèves à dépasser leurs limites tant psychologi­ques que physiques. Mme Lee se souvient du témoignage de plusieurs anciens élèves lors d’une fête.

« Avant, je ne réalisais pas à quel point il a [avait] beaucoup de gens, parce que je le connaissai­s seulement en tant que père. À travers le taekwondo, il a aidé des gens à sortir de la drogue, de l’alcool. Je pleurais tout le long [des témoignage­s], j’étais estomaquée. »

Car son enseigneme­nt et son influence ne se limitaient pas au sport. « Le taekwondo, c’était un mode de vie pour lui. Il ne voulait pas juste former des athlètes, mais des citoyens […] Il voulait que ses élèves soient de bonnes personnes », dit maître Lygeros.

« PRÉSENCE INCROYABLE »

« Il n’était pas grand, mon père. Il mesurait 5 pi 6 po, mais il avait une présence incroyable. Seigneur, qu’il en prenait de la place. Mais il ne faisait pas exprès. Il était très humble », raconte Mme Lee.

« Il traitait tout le monde avec le même respect, que ce soit une ceinture blanche ou un champion, un président ou celui qui lave le plancher », ajoute M. Lygeros.

« Il était toujours souriant, toujours content d’enseigner », se souvient son ancien élève Robert Soucy. Deux semaines avant son décès, il donnait encore un séminaire. Il est finalement décédé le 5 juillet des suites d’un cancer du côlon.

« Je pensais qu’on serait tout le temps ensemble », soupire M. Lygeros, qui est, par la force des choses, devenu le Grand maître du club.

« Je vais faire de mon mieux pour perpétuer son héritage et transmettr­e ma passion au maximum à la nouvelle génération. »

La cérémonie funéraire aura lieu aujourd’hui à Montréal.

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