50 ans plus tard, un Québec plus libre ?
« Vive le Québec libre ! » D’accord, mon général. Mais encore ? Qu’est-ce que Charles de Gaulle voulait dire au juste sur le balcon de l’hôtel de ville, sous le regard médusé du maire Jean Drapeau et du premier ministre Daniel Johnson ? Et surtout, le Québec et ses citoyens sont-ils devenus plus libres, depuis 50 ans ?
Grosse question. Le Journal l’a posée à plusieurs éminences grises de la société québécoise : ex-politiciens, penseurs, comédiens, philosophes, sociologues, juristes… Leurs réponses dépendent du point de vue : libre de quoi, Charles, au juste ?
Pour l’ancienne ministre péquiste Louise Beaudoin, de Gaulle fut très clair le 24 juillet 1967. « Il ne faut pas essayer d’imaginer ce qu’il a voulu dire ! dit-elle. Il souhaitait que le Québec soit indépendant. Le Québec ne l’est pas, même s’il y a eu des changements… » Pour cette ancienne déléguée générale à Paris, la province en est restée une, et n’est donc pas plus libre qu’il y a 50 ans.
Son ancien chef, l’ancien premier ministre Bernard Landry, se trouvait par hasard en face de l’hôtel de ville, en train de dîner avec des collègues, quand de Gaulle a lancé son fameux appel à la liberté. Il l’a accueilli avec une « joie profonde ». Mais un demi-siècle plus tard, sa réponse à la question piège est sans ambiguïté.
« Hélas non, le Québec n’est pas plus libre, à cause de l’infamie de Pierre-Elliott Trudeau et du rapatriement de la Constitution ! déplore l’exchef du Parti Québécois. La Cour suprême peut défaire tout ce que fait le parlement du Québec », dit-il.
En 1982, Ottawa rapatriait les derniers pou-
voirs de Londres. Il créait du même coup la Charte
canadienne des droits et libertés. Ce document permet aujourd’hui aux juges de la Cour suprême – nommés par le fédéral – d’avoir leur mot à dire sur ce que font les provinces, y compris la protection de la langue française.
Même certains fédéralistes sont d’accord : avec ce texte fondamental, le parlement québécois est moins « libre » qu’en 1967. « On peut dire que de ce côté, il y a une régression, dit l’ancien ministre libéral Benoît Pelletier, constitutionnaliste à l’Université d’Ottawa. La Charte limite les pouvoirs, notamment en matière de langue. »
LE POIDS DES CHARTES
Mais les Québécois aiment la Charte canadienne des droits et libertés, ajoute Benoît Pelletier. Comme la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, adoptée sept ans plus tôt dès 1975, elle a contribué à faire reculer l’arbitraire, le racisme, l’exclusion, la discrimination religieuse… « On est probablement plus libres, comme individus, dit Pierre Bosset, professeur de droit à l’Université du Québec à Montréal et spécialiste des droits et libertés. Il y a eu la reconnaissance du mariage et l’adoption pour les conjoints de même sexe, la possibilité de signer des contrats pour les femmes, la reconnaissance de la vie privée… », énumère-t-il.
Par contre, votre téléphone transmet aujourd’hui votre emplacement à chaque pas… « Il s’est créé une autre machine de domination qui n’a pas besoin de contraindre, mais de flatter », pense le professeur de sociologie retraité de l’Université Laval, Gilles Gagné. Google, Apple, Facebook… « On ne peut plus parler sans utiliser des machines qui se mettent à jour toutes seules pendant la nuit ! »
Aujourd’hui, tout le monde occidental partage cet « assujettissement agréable, dit Gilles Gagné. Dans un sens, oui, les Québécois sont plus libres qu’avant, parce qu’ils ne sont pas plus dominés que les Français, les Grecs, ou même les Américains ! »