Le Journal de Montreal

Quand le Québec voyait grand

Comme il l’a écrit au début de ses Mémoires, le Grand Charles avait « une certaine idée de la France ». Il avait aussi une certaine idée de la politique et du monde.

- RICHARD MARTINEAU richard.martineau @quebecorme­dia.com

Pour le Général, la politique était un instrument imparfait, mais nécessaire, destiné d’abord et avant tout à faire avancer des Idées.

J’utilise le i majuscule à dessein. Car il n’y avait pas de place pour la petitesse chez ce chef d’État. L’homme (qui avait du panache et du pif) voyait grand et en menait large. C’était la marque de l’époque.

On rêvait encore de changer le monde et de forcer la main au destin. De Churchill à Roosevelt en passant par Lester B. Pearson, quelques années plus tard, on regardait l’avenir dans le blanc des yeux. Les temps, alors, étaient ambitieux. La politique, depuis, a rapetissé au lavage et rétréci comme peau de chagrin.

LIBRE DE QUOI ?

Que reste-t-il de De Gaulle aujourd’hui, au Québec ? Rien. Une sculpture horrible au parc La Fontaine, à Montréal, et l’ombre de son képi sur un balcon.

Même les souveraini­stes, que le Général avait pourtant gonflés à l’hélium, ont mis leur cause en berne, découragés par les sondages et les statistiqu­es. Les idées s’écrivent désormais en minuscules. En fait, il n’y a plus d’idées, que des chiffres. De Macron à Trump, l’économie règne, souveraine. On n’élit plus des visionnair­es, mais des gestionnai­res. Le libéralism­e a remplacé la liberté. Quand on dit « Vive le Québec libre », aujourd’hui, on veut dire libre d’impôts et de taxes, libre de faire affaire avec qui on veut, libre d’outrepasse­r les frontières pour augmenter notre PIB.

Ce n’est plus de Gaulle qui soulève les foules, mais Rihanna ou Bono. Ou Justin et ses turbans multicolor­es.

La nation est devenue un mot infréquent­able, pointé du doigt, mis à l’index. À manipuler avec précaution, et à vos risques et périls.

ASTÉRIX ET OBÉLIX

Pour De Gaulle, le Québec était une sorte de Gaule perdue au coeur de l’Empire, et les souveraini­stes, des frères d’armes d’Astérix et Obélix, toujours prêts à botter le cul du César yankee.

Il faut dire que la potion nationalis­te faisait des miracles, à l’époque, transforma­nt par magie une société agraire en État moderne.

Tout comme Charles, le Québec voyait grand, avec ses rêves de barrages pharaoniqu­es capables de détourner les rivières les plus tumultueus­es.

Aujourd’hui, on imagine l’avenir sur la pointe des pieds, en chuchotant et en portant des gants blancs pour ne froisser personne.

Les chefs comme le Général n’ont plus leur place à notre époque étriquée. Ils sont trop grands, trop ambitieux, trop exigeants.

L’ombre qu’ils projettent sur nos rêves fragiles est trop lourde à porter.

Un homme d’État se pointerait-il à un balcon pour parler à la foule massée tout en bas devant lui qu’on le ridiculise­rait et lui lancerait des tartes.

Comme le disait Ovide Plouffe, le dos courbé devant sa famille : « Il n’y a plus de place pour les De Gaulle du monde entier… »

L’heure est aux petites pointures.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada