Quand le Québec voyait grand
Comme il l’a écrit au début de ses Mémoires, le Grand Charles avait « une certaine idée de la France ». Il avait aussi une certaine idée de la politique et du monde.
Pour le Général, la politique était un instrument imparfait, mais nécessaire, destiné d’abord et avant tout à faire avancer des Idées.
J’utilise le i majuscule à dessein. Car il n’y avait pas de place pour la petitesse chez ce chef d’État. L’homme (qui avait du panache et du pif) voyait grand et en menait large. C’était la marque de l’époque.
On rêvait encore de changer le monde et de forcer la main au destin. De Churchill à Roosevelt en passant par Lester B. Pearson, quelques années plus tard, on regardait l’avenir dans le blanc des yeux. Les temps, alors, étaient ambitieux. La politique, depuis, a rapetissé au lavage et rétréci comme peau de chagrin.
LIBRE DE QUOI ?
Que reste-t-il de De Gaulle aujourd’hui, au Québec ? Rien. Une sculpture horrible au parc La Fontaine, à Montréal, et l’ombre de son képi sur un balcon.
Même les souverainistes, que le Général avait pourtant gonflés à l’hélium, ont mis leur cause en berne, découragés par les sondages et les statistiques. Les idées s’écrivent désormais en minuscules. En fait, il n’y a plus d’idées, que des chiffres. De Macron à Trump, l’économie règne, souveraine. On n’élit plus des visionnaires, mais des gestionnaires. Le libéralisme a remplacé la liberté. Quand on dit « Vive le Québec libre », aujourd’hui, on veut dire libre d’impôts et de taxes, libre de faire affaire avec qui on veut, libre d’outrepasser les frontières pour augmenter notre PIB.
Ce n’est plus de Gaulle qui soulève les foules, mais Rihanna ou Bono. Ou Justin et ses turbans multicolores.
La nation est devenue un mot infréquentable, pointé du doigt, mis à l’index. À manipuler avec précaution, et à vos risques et périls.
ASTÉRIX ET OBÉLIX
Pour De Gaulle, le Québec était une sorte de Gaule perdue au coeur de l’Empire, et les souverainistes, des frères d’armes d’Astérix et Obélix, toujours prêts à botter le cul du César yankee.
Il faut dire que la potion nationaliste faisait des miracles, à l’époque, transformant par magie une société agraire en État moderne.
Tout comme Charles, le Québec voyait grand, avec ses rêves de barrages pharaoniques capables de détourner les rivières les plus tumultueuses.
Aujourd’hui, on imagine l’avenir sur la pointe des pieds, en chuchotant et en portant des gants blancs pour ne froisser personne.
Les chefs comme le Général n’ont plus leur place à notre époque étriquée. Ils sont trop grands, trop ambitieux, trop exigeants.
L’ombre qu’ils projettent sur nos rêves fragiles est trop lourde à porter.
Un homme d’État se pointerait-il à un balcon pour parler à la foule massée tout en bas devant lui qu’on le ridiculiserait et lui lancerait des tartes.
Comme le disait Ovide Plouffe, le dos courbé devant sa famille : « Il n’y a plus de place pour les De Gaulle du monde entier… »
L’heure est aux petites pointures.