Le Journal de Montreal

L’espoir désenchant­é

- JOSÉE LEGAULT josee.legault@quebecorme­dia.com

Comme un fantôme qui nous oblige à ne pas oublier, il revient nous hanter. Un demi-siècle plus tard, que reste-t-il du fracassant « Vive le Québec libre ! » lancé le 24 juillet 1967 du haut du balcon de l’hôtel de ville de Montréal par Charles de Gaulle ?

Dans les faits, bien peu. Force est de le constater froidement. Dès après l’été 1967, la suite s’ouvrait pourtant sur tous les possibles. À Ottawa, la commission Laurendeau-Dunton proposait un « partenaria­t égal » entre francophon­es et anglophone­s.

L’année suivante, la tempête politique parfaite s’annonçait déjà. En 1968, Pierre Elliott Trudeau fut élu premier ministre du Canada et René Lévesque fonda le Parti québécois. Rien n’incarnera mieux la profonde déchirure de la nation québécoise en son propre sein que les décennies de combats acharnés entre ces deux hommes aux antipodes en toutes choses.

René Lévesque incarnera l’émancipati­on politique du Québec. À l’opposé, Pierre Trudeau visera sa « normalisat­ion » dans le grand tout canadien. Puis viendra Jacques Parizeau. Sans flancher, il se donnera sans compter pour une indépendan­ce qui, en 1995, lui échappera d’une seule poussière d’étoile.

Robert Bourassa, le nationalis­te éconduit par l’échec de Meech, finira dans le même statu quo qu’il avait tant souhaité renverser sans « rupture » avec le Canada. Depuis, la tempête s’est calmée.

LE CHEMIN DES OUBLIETTES

De nos jours, de peur de se faire rabrouer à nouveau par le reste du pays, les fédéralist­es québécois n’osent plus rien demander. Comme un concierge bien dressé, le premier ministre actuel se montre même fier de proposer au Canada anglais un pâle « dialogue » à sens unique qui ne mène nulle part.

Le mouvement souveraini­ste n’est plus que l’ombre de lui-même. Depuis son référendum pourtant quasi gagnant, le Parti québécois s’éteint peu à peu.

Quant aux caquistes, occupés à faire semblant de croire à un fédéralism­e renouvelé devenu impossible, leur vision sur cette question dégage un étrange parfum de duplessism­e recyclé.

En l’absence d’un projet politique inspirant, quel qu’il soit, l’électorat francophon­e, toutes origines confondues, se fractionne. Sans même s’en apercevoir, il se dissout peu à peu dans sa nouvelle insignifia­nce politique. Son rapport de forces inexistant au sein du Canada complète sa régression tranquille.

La culture de langue française, sous toutes ses formes, ne traverse toujours pas à l’ouest du boulevard Saint-Laurent. Ou si peu. Le français, langue officielle du Québec, recule dans l’indifféren­ce générale pendant que le franglais, cet avorton paresseux et inculte, prend du galon.

L’inaction apeurée des élus sur le front linguistiq­ue complète ce tableau gênant. Avis de recherche pour la résurrecti­on de Camille Laurin. Prière de faire transmettr­e cette humble requête au frère André.

CUL-DE-SAC PROVINCIAL

Pendant ce temps, l’ultimatum lancé jadis au Canada par Daniel Johnson père – Égalité ou indépendan­ce – se termine en cul-de-sac provincial obsédé par le culte du déficit zéro.

De l’effervesce­nce enjouée du « Vive le Québec libre ! » à l’endormisse­ment post-référendai­re des dernières années, l’espoir d’une liberté réparatric­e a cédé le pas à la routine du vide collectif.

Alors, les Québécois sont-ils plus libres aujourd’hui qu’ils ne l’étaient au moment d’entendre l’invitation du général de Gaulle à le devenir entièremen­t ? Individuel­lement, sans nul doute. C’est dans leur existence comme membres d’une communauté nationale unique en Amérique du Nord que leur liberté rêvée s’étiole.

Selon un cliché usé, dont certains raffolent encore pour justifier leur propre silence, la souveraine­té serait comme une fleur. Ce n’est pas en tirant sur elle, disent-ils pour se consoler, qu’elle va pousser plus vite.

Habité d’une intelligen­ce politique peu commune, le général de Gaulle savait qu’au contraire, la fleur de la liberté pousse mieux sous les soins d’un jardinier expert et déterminé à la faire éclore dans toute sa splendeur.

D’où son très provocateu­r « Vive le Québec libre ! ». Lequel, les yeux braqués sur l’avenir d’une jeune nation soeur autrefois abandonnée par la France, se voulait avant tout un redoutable accélérate­ur de l’Histoire. Que l’on ait dilapidé son impact au fil des ans de peur d’y faire honneur n’enlève rien au mérite exceptionn­el de Charles de Gaulle.

Le 24 juillet 1967, mon père, alors policier à Montréal, était posté au bas du balcon de l’hôtel de ville en biais du président Charles de Gaulle.

Ce soir-là, une fois rentré à la maison, profondéme­nt ébranlé, il m’a dit ceci en toute simplicité : « Ma fille, aujourd’hui, j’ai vu l’Histoire s’écrire sous mes yeux. » Je ne l’ai jamais oublié…

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