Le Journal de Montreal

De Gaulle et la « question du Québec »

Que reste-t-il à dire sur le fameux « Vive le Québec libre » du général de Gaulle, lancé du haut du balcon de l’hôtel de ville de Montréal, le 24 juillet 1967 ?

- FATIMA HOUDA-PEPIN fatima.houda-pepin @quebecorme­dia.com

Cinquante ans après, les historiens ne s’entendent toujours pas sur le sens à donner à ces quatre mots qui ont embrasé le Québec et le Canada et embarrassé la France, jusqu’aux gaullistes eux-mêmes.

Ce cri était-il intentionn­el ou s’agissait-il d’un appel spontané lancé sous le coup de l’émotion ? Quel sens faut-il donner à ces quatre mots incendiair­es ? Un Québec « libre » voulait-il dire un « Québec indépendan­t ? »

UNE HISTOIRE D’AFFECTION

Le général de Gaule avait un sens aigu de l’histoire et une certaine idée de la France. Il avait une grande obsession : la grandeur de la France. « La France ne peut être la France sans la grandeur », écrira-t-il.

L’histoire des Canadiens français n’avait pas de secrets pour lui. Il était très bien informé de la « marmite en ébullition » qui y mijotait.

Chose certaine, il avait une affection sincère pour les « Français canadiens », comme il les appelait, abandonnés à leur sort par leur mère patrie, suite au Traité de Paris de 1763. Il était inconsolab­le face à la lâcheté de la France et estimait qu’il était de son devoir de réparer ce tort.

Son « Vive le Québec libre » est donc tout sauf de l’improvisat­ion. C’est le fruit d’une longue et profonde réflexion sur ce « morceau de la France » surgi, avec force, des arpents de neige du Canada, à un moment où la France cherchait précisémen­t à reprendre son rang de grande puissance dans le monde.

DE GAULLE, L’INDÉPENDAN­TISTE

La conférence de presse qu’il a donnée, à Paris, le 17 novembre 1967, quatre mois après sa fameuse déclaratio­n de Montréal résume toute sa pensée sur le Québec.

Il y a affirmé que « Ce sont les Français qui, il y a plus deux siècles et demi jusqu’en 1763, avaient découvert, peuplé, administré le Canada ». Le fédéral les a placés en situation d’infériorit­é mettant en danger « leur langue, leur substance, leur caractère », sans jamais réussir à les faire « renoncer à eux-mêmes ». D’où leur volonté « d’affranchis­sement ».

C’est dans cet esprit qu’il avait proposé au premier ministre du Québec, Daniel Johnson, dans les mois qui ont suivi sa visite, 25 projets de coopératio­n. Sur le plan politique, il avait érigé le Québec de facto au statut de pays en lui offrant d’établir, sans l’accord d’Ottawa, des relations directes, au sommet de l’État – selon le modèle franco-allemand – avec des visites alternées des premiers ministres.

La bouchée était tellement grosse pour Daniel Johnson qu’il en avait eu le vertige. Il dira au ministre français, Alain Peyrefitte, que le général « allait trop vite ». Et de Gaulle de répondre : « Il était en position de faire l’histoire. Il y renonce. C’est un politicien de province. (...) C’est un petit bonhomme ».

LE QUÉBEC AU SERVICE DE LA FRANCE

Pourtant, dans ses trois visites antérieure­s à Ottawa et à Québec, depuis 1944, de Gaulle espérait que la dualité francophon­e-anglophone de ce pays puisse, un jour, lui permettre de « rester canadien ».

Alors que s’est-il passé pour qu’il écrive, quatre ans avant son « Vive le Québec libre » que « le Canada français deviendra nécessaire­ment un État et c’est dans cette perspectiv­e qu’il faut agir ».

Il était conscient de l’ébullition du Québec dans les années 1960, une période marquée, à l’échelle mondiale, par le mouvement des indépendan­ces. Par dizaines, des pays africains sortaient du giron de la France coloniale.

Une perte considérab­le de pouvoir et de prestige pour De Gaulle. Il fallait réhabilite­r la grandeur de la France. Le Québec était donc une planche de salut toute désignée.

Il le dira clairement à son ministre Alain Peyrefitte, le 11 septembre 1966 : « Maintenant que nous avons décolonisé, notre rang dans le monde repose sur notre rayonnemen­t, c’est-àdire avant tout sur notre puissance culturelle. La francophon­ie prendra un jour le relais de la colonisati­on. (...) Le Québec doit être une pièce maîtresse de la francophon­ie. (...) Et alors on verra ce qu’on peut faire pour donner un coup de main au Québec ».

Il voyait déjà le Québec prendre son siège à côté du Qatar aux Nations Unies et pensait que la réussite québécoise « pourrait procurer à la France pour ce qui est de son progrès, de son rayonnemen­t, de son influence un appui considérab­le ».

L’APRÈS-DE GAULLE

Cinquante ans après la visite de Charles de Gaulle, que reste-t-il de ce coup de force unique dans les annales de la diplomatie internatio­nale ?

La coopératio­n franco-québécoise a connu un essor considérab­le et la France a joué de tout son poids pour faire reconnaîtr­e le Québec comme un État de plein droit, dans les domaines de ses compétence­s, au sein de la francophon­ie.

L’impact sur le mouvement souveraini­ste et nationalis­te est mitigé. Ce « puissant courant politique » qu’avait constaté de Gaulle, dans les années 1960, s’est progressiv­ement effrité et avec lui, l’objectif de faire du Québec un pays.

Les fédéralist­es du Québec sont orphelins de leadership. Ils s’interrogen­t encore sur « notre façon d’être canadiens » et sur « l’affirmatio­n du Québec ». De Gaulle parlait déjà d’« affranchis­sement ».

Le poids du Québec au sein du Canada n’a cessé de s’amenuiser depuis les vingt-cinq dernières années, sur le plan démographi­que et politique.

Quant au Canada, il continue son ascension triomphale dans le monde, avec ou sans le Québec. Les solitudes n’ont jamais été aussi profondes.

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