Hier, la liberté
Lorsque le président Charles de Gaulle a clamé « Vive le Québec libre » sur le balcon de l’hôtel de ville de Montréal, il s’adressait à une foule en liesse qui avait déjà entamé son désir d’émancipation.
Quoi qu’en disent les historiens, action improvisée ou planifiée, le général n’aurait pas semé autant d’émoi et d’espoir s’il n’avait pas eu devant lui cet auditoire réceptif qui carburait au désir de liberté.
UNE QUÊTE DIFFUSE
L’effervescence des années 60 après l’ère Duplessis, qualifiée par certains de grande noirceur, démontrait un nationalisme à l’appétit insatiable d’affranchissement des contraintes du passé. Le « Maître chez nous » de Jean Lesage et « Égalité ou indépendance » de Daniel Johnson étaient des formules lapidaires lancées par ces ex-premiers ministres pour synthétiser toutes les aspirations de liberté et de volonté du Québec d’assumer son destin.
Cette délivrance était toutefois plurielle en touchant une multitude de domaines et ne se traduisait pas essentiellement pour tous par la quête d’avoir son propre pays.
La démocratisation du système d’éducation amorcée dans la foulée du Rapport Parent annonçait un changement en profondeur vers une plus grande autonomie de tous les citoyens. La rupture progressive avec les diktats de l’Église ajoutait à cette volonté de se débarrasser des contraintes qui brimaient l’existence.
La nationalisation de l’électricité, la création de la Caisse de dépôt et placement du Québec et la conception d’un régime public de retraite québécois reflétaient une volonté de prendre en main nos affaires et auguraient du Québec inc. de Jacques Parizeau.
L’instauration du régime d’assurance-hospitalisation au début des années 60, précurseur du régime d’assurance-maladie, ajoutait à ces nouveaux espaces de liberté en sortant les citoyens d’un endettement relié à la santé.
Toutes ces mesures et plusieurs autres contribuèrent à renforcer la solidarité et la cohésion sociale tout en augmentant la capacité des Québécois à assumer pleinement leur vie.
UN PAYS PERDU
C’est dans ce bouillonnement de transformations que le vénérable général lâcha son cri qualifié plus tard, par René Lévesque, d’une « francité » soucieuse et jalouse de tous les prolongements de son vieux peuple. Pareil affront au Canada ne pouvait laisser Ottawa indifférent, car il galvanisait l’envie de plusieurs Québécois de se donner un pays où ils seraient véritablement maîtres chez eux.
La déclamation du général ne s’avérait certes pas le déclencheur des appétences indépendantistes, elle constituait toutefois un formidable catalyseur de toutes les forces qui animaient le désir de pays. Les années suivantes donnèrent lieu à diverses manifestations comme celles pour un McGill français ou contre les lois sur la langue déposées sous les règnes des ex-premiers ministres Bertrand et Bourassa, contribuant du coup à exacerber les envies de liberté.
L’arrogance du premier ministre canadien, Pierre Elliot Trudeau, accentuait le ressentiment à l’égard de l’État central et a mené à l’avènement de quelques gouvernements péquistes et leurs deux référendums.
La quête d’indépendance des uns et la crainte d’une séparation des autres ont refaçonné nos institutions au fil du temps et laissé plus de latitude aux autorités provinciales. Les individus bénéficient aujourd’hui de plus de liberté avec l’amélioration de leurs institutions et de leurs conditions économiques. Les chartes canadienne et québécoise ont ajouté à la consécration des droits individuels au détriment des droits collectifs.
Le souhait de liberté du général ne s’est toutefois pas matérialisé. Au contraire, cette quête de pays est en panne depuis deux décennies et le rappel nostalgique du « Vive le Québec libre » ne saurait suffire à raviver l’envie d’indépendance. Comme hier, elle ne peut trouver sa source que dans l’âme des habitants du territoire.
Le général n’aurait pas semé tant d’émoi s’il n’avait pas eu devant lui cet auditoire réceptif qui carburait au désir de liberté