Mon combat contre l’OxyContin
Toute ma vie, j’ai combattu en priorité trois ennemis personnels: l’ignorance originelle, la seule définition acceptable du péché du même nom, la dépression et ma dépendance à toutes les «substances qui altèrent le comportement»: alcool, médicaments, drogues, etc.
J’ai combattu l’absence de connaissances à la naissance à coups de livres surtout, de rencontres avec des gens qui ont fait ou vu l’Histoire (excellente raison pour devenir journaliste) et au moyen de l’école. Pas mon point fort, je l’avoue.
Ce combat contre l’ignorance – plus on sait, plus on sait à quel point on ne sait rien –, je vais le mener jusqu’à la fin.
BIPOLARITÉ ET TOXICOMANIE
Je vais aussi mener mon combat contre mes dépendances jusqu’au dernier souffle. On est vulnérable à vie. L’abstinence est une rémission fragile.
Je crois être née avec cette maladie qu’on dit du corps, de l’âme et de l’esprit, qui est probablement génétique, somme toute rare. J’étais l’enfant qui finissait les verres à Noël.
Je me souviens comme si c’était hier du bonheur que j’ai ressenti après ma première rencontre avec la morphine, après une intervention chirurgicale, à 5 ans.
Ce que je ne savais pas, et que je n’ai appris que lorsque j’ai reçu, dans la cinquantaine, un diagnostic de trouble bipolaire, c’est qu’entre 70 et 75 % des gens qui en souffrent deviennent toxicomanes, information confirmée par le docteur Jean-Pierre Chiasson qui traite les dépendances depuis 30 ans à sa clinique Nouveau Départ.
Quand j’y suis entrée, il y a sept ans, j’étais une morte à peine vivante.
ACCRO À L’OXYCONTIN
J’ai parlé publiquement du combat que j’ai gagné contre la coke au début des années 90, mais très peu de mon deuxième passage à vide. J’avais – et j’ai encore – honte d’avoir rechuté après 16 ans clean.
La crise des surdoses mortelles reliées à la consommation croissante d’opioïdes, «une crise sans précédent» selon Santé Canada, m’amène à m’ouvrir. Mon désir d’être utile est plus fort que ma honte.
Au Canada, sept personnes par jour sont mortes d’une surdose d’opioïde en 2016.
Voilà: je suis disparue «de la carte» pendant deux ans après avoir quitté Châtelaine, en 2009, sans jamais dire pourquoi. J’étais devenue accro à l’OxyContin, un opioïde deux fois plus puissant que la morphine, que je prenais pour un mal de dos. Mais le thérapeutique a rapidement cédé la place au récréatif.
Grâce à un «gentil» psychiatre, je n’ai jamais manqué d’approvisionnement.
RÉUSSI
Quand j’ai voulu arrêter par moimême, j’ai connu le mal absolu du sevrage à froid. Si le diable existe, c’est lui qui l’a inventé.
Mes enfants et l’homme de ma vie m’ont tendu la main, parfois par la technique du tough love, la gentillesse a ses limites. Exactement ce qu’il me fallait pour accepter d’être soignée.
J’ai été traitée à la méthadone, un opioïde de substitut qui m’a sauvé la vie et que je ne prends plus depuis quatre ans.
Malheureusement, au Québec, moins de 20 % des toxicomanes y auraient accès. À moins d’avoir des assurances, de l’argent, du temps ou de la chance.
Seulement 323 médecins, sur 20 686, peuvent prescrire de la méthadone contre la dépendance au Québec. C’est une thérapie externe complexe, qui nécessite une formation spéciale et un suivi serré. Les médecins hésitent à servir la clientèle des narcomanes.
De plus, il n’existe que 18 centres de thérapie couverts par l’assurance maladie qui utilisent le traitement par médication de substitution dans tout le Québec, selon le site du Centre de recherche et d’aide pour narcomanes (CRAN).
On estime entre trois mois et un an l’attente pour être traité à la méthadone. Beaucoup vont mourir avant. Cette approche sélective date de l’époque où seuls les héroïnomanes avaient besoin de méthadone.
ACCÈS TROP FACILE
J’en parle maintenant, même si certains vont s’en servir pour miner ma crédibilité, parce que la crise des opioïdes n’épargnera pas le Québec. Toutes ces substances, «oxy», «dillies», «percs» ou fentanyl, ne viennent pas que de la rue. (Mais celles-là sont encore plus mortelles.)
On les vole dans la pharmacie de grand-maman, on fait du magasinage de médecin, de pharmacien. La prescription – légale – d’opioïdes a augmenté de 22 % en trois ans, rapportait
Le Journal le 19 juillet dernier. Malgré cela, nous sommes la seule province au Canada qui ne comptabilise pas les surdoses, qui auraient doublé en 10 ans, selon le Bureau du coroner.
C’est tellement facile de faire une surdose. Du simple Dilaudid, qu’un médecin de l’urgence d’un hôpital a voulu me prescrire le mois dernier pour mon coude de tennis (!), pris en dose suffisante – différente pour chaque individu –, et on glisse vers la mort.
Sans même s’en rendre compte. Je le sais, j’y étais presque.