Quelle société des loisirs ?
Vous souvenez-vous de la société des loisirs qu’on nous vendait dans les années 1970 ?
« Les hommes ne travaillent presque plus, le bonheur est la seule vertu », écrivait Stéphane Venne dans Le début d’un temps nouveau, la chanson phare de cette époque.
RECONNECTER
La société des loisirs, pour la plupart des gens, c’est deux semaines de congé l’été.
Deux semaines où les gens essaient de décompresser comme ils peuvent – si possible, loin des embouteillages et des cônes orange, là où il y a des arbres et de l’eau qui coule.
Quatorze jours pour reconnecter avec la nature – et avec les siens.
Les trois premiers jours, tu es tellement brûlé que tu passes tes journées à dormir. Les trois derniers, tu es tellement angoissé à l’idée de retourner travailler que tu passes tes nuits éveillé, à fixer le plafond.
Restent huit vrais jours de vacances.
Une farce.
DÉCONNECTER
On devrait profiter de ces journées précieuses pour déconnecter. Mais qui le fait ? C’est comme demander à un junkie de ne pas prendre de drogue deux semaines par année. Impossible. À moins de suivre une cure de désintox dans un centre supervisé.
Avec des gardiens qui te surveillent du matin au soir et t’empêchent de te shooter.
La semaine dernière, mon fils a passé cinq jours dans un camp d’été. Pas d’écran, pas de téléphone, pas d’iPod ni d’iPad.
Que la vraie vie. Avec de vrais amis en chair et en os, que tu ne peux pas éteindre quand ils te tapent sur les nerfs.
Quand je suis allé le mener, j’avais quasiment envie de rester. Pour que des gardiens me protègent de moimême.
« Pas de journaux, pas d’internet, pas de télé ni de radio. Des terroristes islamistes feraient sauter la tour Eiffel que tu ne le saurais même pas.
« Mais tu apprendrais à faire la différence entre le chant d’un merle et celui d’un cardinal. Et tu chanterais, le soir, au coin du feu, la tête vide et le coeur léger... »
DISPARAÎTRE
Elle est où, la société des loisirs, bordel de merde ?
La technologie qui était censée nous libérer nous emprisonne.
Plus moyen de couper les ponts, il faut être joignable en tout temps.
Grâce aux ordis, tu peux maintenant apporter ton travail à la maison. Chouette. Un grand pas pour le capitalisme, un (très) petit pas pour l’homme.
Dans le film Villa Amalia, de Benoît Jacquot, Isabelle Huppert tente de disparaître. Littéralement.
D’effacer toute trace d’elle-même et de refaire sa vie à l’autre bout du monde, sans que personne ne puisse la retrouver.
Elle se rend compte que c’est impossible. La technologie est une laisse qu’on nous a attachée autour du cou.
Et le pire, c’est qu’on adore notre collier. On le colore, on le maquille, on le décore... Si on ne l’avait pas, on se sentirait tout nu. Amputé, incomplet. On est tout content d’être esclave. On en redemande, même !
Vite, inventez d’autres gadgets qui vont nous enchaîner, et que nous allons acheter à prix fort !
FUIR
Au cours des prochains jours, des centaines de milliers de Québécois vont essayer de décrocher. Profitez-en. Faites comme Jim Carrey dans The Truman Show. Brisez vos chaînes, fuyez. Évadez-vous.