Enseigner et commenter la politique à l’ère de Trump
Pour un politologue chroniqueur, enseigner et commenter la politique américaine à l’ère de Trump est un défi singulier. Alors que les États-Unis se dirigent presque inexorablement vers une crise constitutionnelle dont les retombées ne nous épargneront pas, il faut le relever.
Les adeptes de la section « commentaires » du Journal me rappellent souvent gentiment qu’un politologue devrait être neutre face à la chose politique.
À l’ère de Trump, cela reviendrait à présenter tout ce que font ou disent le président ou son parti comme « normal ». Or, Trump et les républicains dépassent fréquemment les bornes et ce n’est pas un geste partisan de le souligner, qu’on soit professeur ou chroniqueur.
ENVIRONNEMENT HYPERPARTISAN
J’ai de l’empathie pour mes collègues américains qui enseignent et mènent leurs recherches dans cet environnement hyperpartisan. Comment conserver un semblant de détachement non partisan quand des normes démocratiques fondamentales sont enfreintes de façon routinière par le président et son parti?
Récemment, le président vilipendait ses opposants et les médias devant 40 000 boy-scouts, songeait à congédier un procureur spécial et à s’autopardonner. Ensuite, le Sénat passait proche d’enlever l’assurance-maladie à des millions de citoyens en votant aux petites heures sur un projet de loi préparé en catimini et dévoilé quelques instants plus tôt.
OBJECTIVITÉ VS IMPARTIALITÉ
La partisanerie et le prosélytisme idéologique n’ont pas leur place dans les salles de cours et si la chronique offre une certaine latitude à l’expression des opinions, elle ne libère pas le professeur de l’éthique de sa profession.
Les politologues doivent être objectifs, c’est-à-dire de fonder leurs analyses sur des faits vérifiables et d’exposer les faussetés et les mensonges. Il ne faut toutefois pas confondre objectivité et impartialité.
Les politologues peuvent—certains diront « doivent » —défendre les valeurs consensuelles dont dépendent nos démocraties, comme la règle de droit, la décence, l’honnêteté, la justice et l’équité. Quand ces normes sont transgressées, ici ou ailleurs, l’enseignant ou l’intellectuel public n’a pas à être impartial.
LES FAUSSES ÉQUIVALENCES
Les défenseurs de Trump et des républicains insistent qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
C’est faux. Jamais on n’a vu un président américain malmener à ce point les normes démocratiques. Tous les politiciens déforment la vérité, mais Trump la pulvérise. L’ampleur de ses conflits d’intérêts est sans précédent. Sans parler de ses tentatives d’étouffer l’affaire de l’ingérence russe qui ne font qu’alourdir les soupçons.
Au Congrès, même si l’adoption d’Obamacare en 2009 n’était pas une affaire d’enfants de choeur, c’était un modèle de transparence et de collégialité comparé à l’opacité et à la partisanerie pure qui ont marqué les tentatives d’abrogation.
CE N’EST PAS NORMAL
Ce qui se passe aux États-Unis n’est pas normal. Il faut le dire.
Certains objecteront que les Américains ont voté et qu’il faut accepter ce qui arrive comme le reflet de la volonté du peuple.
C’est ce genre d’acceptation tranquille qui met la démocratie en péril.