Le Journal de Montreal

Que se passe-t-il dans la tête d’Eugenie ?

Eugenie Bouchard a semblé désemparée, hier, à Flushing Meadows

- RÉJEAN TREMBLAY rejean.tremblay@ quebecorme­dia.com

NEW YORK | La grande jeune femme blonde qui est entrée dans la salle d’interviews du US Open affichait un visage dévasté. Et une allure dévastée. En fait, c’est tout Eugenie Bouchard qui était dévastée. Ses réponses étaient murmurées, courtes, sans émotion. Elle ne cherchait même pas à donner le change. Seul son t-shirt blanc détonnait : « Why Not ? » clamait-il pour démentir l’allure et les réponses de Bouchard.

Eugenie Bouchard était dévastée parce qu’elle était bien consciente qu’elle s’était fait démolir mentalemen­t par une jeune maman qui était moins bien classée qu’elle et qui ne semblait pas du tout être en aussi bonne condition physique.

Evgeniya (Eugenie en russe) Rodina est moins grande, moins athlétique, moins découpée qu’Eugenie Bouchard. Mais elle a du chien. Elle sait surtout jouer au tennis quand les points s’étirent.

Et Eugenie, elle l’a montré vingt fois pendant le match, n’a plus la moindre idée de ce qu’il faut faire pour gagner un match de tennis.

C’est entre les deux oreilles que c’est déréglé. Complèteme­nt et follement.

Et c’est pire que ce que vous imaginez.

MARQUER LE MATCH

C’est simple. J’ai couvert Martina Navratilov­a contre Chris Evert, Stefie Graf contre Gabriella Sabatini, Monica Seles contre Martina Hingis. Puis les soeurs Williams et toutes les grandes joueuses des dernières décennies.

Assis dans la galerie de presse, un calepin de notes sur les genoux, occupé à marquer le match. Je trouve que ça aide à comprendre ce qui se passe.

Même là, un bon marquage ne dit pas tout. C’est la réaction d’une joueuse lors de certains points qui est vraiment révélatric­e. Et hier, contre Rodina, c’était à brailler. Par exemple, à 3-1 dans le deuxième set. Un retour est encore possible puisque « Genie » est plus athlétique. Les deux joueuses s’engagent dans un long échange qui s’éternise. La pauvre Russe finit par courir ventre à terre au filet pour cueillir un amorti et faire le point.

Sauf qu’elle ressemblai­t à Conor McGregor samedi à Vegas au neuvième round. Elle cherchait une chaise où s’écraser. Plus de souffle, plus de jambe.

Un joueur moyen dans un club intérieur sait ce qu’il faut faire au prochain point. Étirer l’échange pour profiter de la fatigue de l’adversaire. Et le forcer à pomper l’huile.

Et Eugenie, elle a fait quoi pensez-vous ? Elle a « vargé » un retour de service pour perdre le point et la partie. Même pas faire courir l’autre une couple de pas. Rien d’intelligen­t si on parle de « tennis IQ ».

PERDUE SUR LE COURT

Mais au moins, Eugenie Bouchard est consciente qu’elle joue à côté de ses pompes. Qu’elle ne gère pas ses matchs et que sa confiance frôle les bas-fonds. Et toute dévastée qu’elle ait été, elle a répondu intelligem­ment aux questions même si c’était bref: « Je reconnais que le nombre d’erreurs non provoquées est élevé. Mais…pour être franche, je ne savais pas quoi faire sur le court », a-t-elle dit.

En anglais c’était plus précis : « I just did’nt realy know what to do out there ».

Eugenie Bouchard est maintenant 76e au monde. Elle a déjà été cinquième. Mettons qu’elle a été chanceuse en 2014 quand Serena Williams se faisait battre avant de l’affronter et que le chemin s’ouvrait dans les Grands Chelems. Mais des filles comme Simona Halep, elle les a battues. Et la finale de Wimbledon, elle l’a fait.

LES SOUVENIRS DU US OPEN

Son univers a semblé s’écrouler quand elle a fait une chute dans le vestiaire des filles après un match de double mixte. Elle souffert d’une commotion cérébrale. Depuis, c’est une longue et agonisante débandade.

Quel coach, quel psychologu­e, quelle mère sauront la raplomber ?

Quand j’ai commencé à jouer sérieuseme­nt au tennis, j’ai eu la chance d’avoir Louis Cayer comme coach. Le même Louis Cayer qui a travaillé des années avec la fédération britanniqu­e de tennis.

Louis m’avait posé une question : « Veux-tu bien jouer ou veux-tu gagner ? »

Ben voyons, je voulais gagner. Je n’ai jamais bien joué, mais j’ai gagné plus que ma part de matchs. J’ai appris comment protéger les angles en montant au filet, comment attaquer les décroisés, comment gérer le tempo d’un match ou quand servir sur le T.

Surtout que Cayer m’avait appris une autre leçon. Si tu perds et que tu joues de la même façon le match suivant, tu vas encore perdre.

Eugenie Bouchard est rendue là. Hier, j’ai vu une belle athlète, en forme, avec un coup droit solide, un service suffisant pour jouer contre les meilleures et un revers capable d’être dangereux quand elle s’en sert pour attaquer.

Mais j’ai surtout vu une joueuse qui ne sait plus comment gagner. Dont les nerfs se nouent si le point s’étire. Qui abandonne si les choses ne se passent pas comme elle l’espérait.

Elle n’a plus la dureté du mental !!!

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