Le Journal de Montreal

Bientôt, nous brûlerons des livres

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ Blogueur au Journal Sociologue, auteur et chroniqueu­r mathieu.bock-cote @quebecorme­dia.com @mbockcote

La mode est à la guerre aux statues. Et je ne parle pas seulement des statues des généraux confédérés de la guerre de Sécession, comme on le voit aux États-Unis.

Un peu partout, en Occident, des groupuscul­es militent pour faire tomber celles de personnage­s qui ne sont plus dans les bonnes grâces de notre époque. Ou alors, tout simplement, ces militants ne les aiment pas. On a même appris qu’à New York, la statue de Christophe Colomb est dans le viseur du maire : elle représente­rait la haine. Ah bon.

STATUES

Dans les prochains temps, on peut s’attendre à la multiplica­tion des cibles.

Et on ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Avant-hier, on apprenait qu’un cinéma de Memphis, au Tennessee, a déprogramm­é Autant en emporte le vent, un authentiqu­e chef-d’oeuvre de l’histoire du cinéma.

Pourquoi ? Parce qu’il représente­rait une vision du passé américain heurtant la sensibilit­é de certains militants particuliè­rement zélés.

Alors vite, on le censure. C’est ainsi qu’on étouffe aujourd’hui la culture et la liberté d’expression. Quel sera le prochain film déprogramm­é ? Vive l’interdit !

Sans trop nous en rendre compte, nous entrons dans ce qu’on pourrait appeler la phase radicale de la révolution multicultu­raliste. Et cela ne s’arrêtera pas. Tout ce qui, d’une manière ou d’une autre, contredit les valeurs de la « diversité » pourra désormais être mis en procès.

Tôt ou tard, on brûlera des livres, ou du moins, on verra des militants rageurs faire le tour des bibliothèq­ues pour les épurer. Au nom de la tolérance, on justifiera le fanatisme.

À tel philosophe, on reprochera d’avoir justifié le colonialis­me. À tel écrivain, on reprochera son « sexisme ». L’anachronis­me s’allie au fanatisme. Tous finiront par y passer.

Peut-être faudra-t-il une permission spéciale pour lire Aristote, Balzac, Flaubert, Houellebec­q ou Kundera ?

D’ailleurs, bien des intellectu­els sont déjà jugés infréquent­ables. On a inventé pour eux un nouvel index. Qui dit leur nom passe pour un monstre.

Il y aura toujours, ici ou là, un petit esprit pour crier au racisme et pour réclamer une purge.

En fait, cela existe déjà. On appelle ça le politiquem­ent correct, et il règne à l’université.

FANATISME

C’est un paradoxe fascinant : officielle­ment, l’université repose sur le culte de la plus grande liberté intellectu­elle qui soit. Dans les faits, elle couve un nouveau fanatisme qui s’est révélé ces derniers mois à travers l’annulation de nombreuses conférence­s.

Les idées en contradict­ion avec la gauche multicultu­raliste sont stigmatisé­es. S’il le faut, on misera sur la perturbati­on pour les interdire.

D’une statue déboulonné­e à un film déprogramm­é, jusqu’aux livres qui seront tôt ou tard retirés de la circulatio­n, on assiste à une entreprise d’éradicatio­n culturelle.

Le constat est navrant : si les représenta­nts autoprocla­més d’une minorité victimaire pleurent en se disant blessés par une oeuvre, nos dirigeants invertébré­s se plieront devant eux et l’évacueront de l’espace public.

Nous vivons dans une société de plus en plus étouffante, de moins en moins libre.

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