Débaptiser, oui ou non ?
Avec sa manière raffinée et délicate, le maire de Montréal, Denis Coderre, a déclaré mercredi que « le général Amherst va prendre le bord ». La rue Amherst pourrait s’appeler désormais rue de la Réconciliation. Pour une rue qui délimite le quartier gai, le mot est doublement symbolique de pacification sociale.
Le général Jeffrey Amherst était un officier britannique qui comme tant de personnes au XVIIIe siècle considérait les Indiens comme des inférieurs et souhaitait les exterminer. Le débat actuel nous permet de découvrir que l’histoire est composée de héros, mais aussi de salauds.
Déboulonner les statues et débaptiser les noms de rue posent des problèmes complexes. En effet, si l’on répond à toutes les demandes d’éradication de la toponymie, l’on perd la mémoire. Les citoyens aujourd’hui partagent des valeurs d’égalité, de dignité et de respect. Mais faut-il débaptiser des milliers de rues, d’écoles, de parcs nommés par des élites passées pour des personnages sans envergure, sans morale (telle qu’on la définit aujourd’hui) et sans scrupules ?
NOMS CONTROVERSÉS
Pensons à tous les politiciens, les juges, les clercs qui considéraient la femme comme une inférieure, qui le clamaient bien haut et votaient des lois, qui émettaient des jugements et condamnaient du haut de la chaire les suffragettes. Plusieurs ont leur nom de rue.
Il faut noter la discrétion et la réserve des historiens dans ce débat. La tentation est forte d’éradiquer des pans de l’histoire en arguant que les salauds d’autrefois doivent retourner à l’anonymat. Les historiens savent qu’on ne peut juger les valeurs des siècles passés selon celles d’aujourd’hui. Nombre de héros encensés dans les livres d’histoire ne pourraient passer le test si l’on scrutait leurs actions et leurs écrits à travers le prisme de notre rectitude politique actuelle.
TRAVAIL PROFESSIONNEL
Cela signifie que l’on ne doit pas faire appel à des groupes d’intérêts particuliers pour le choix de personnalités méritant qu’on les immortalise. La toponymie doit être d’abord dans les mains de professionnels qui possèdent une vision non politisée, en distance de toute polémique et qui font métier d’inscrire l’Histoire à travers ceux ou celles qui l’ont écrite. Et cela, dans tous les secteurs d’activités.
Faut-il laisser les Québécois antireligieux débaptiser les villes, les villages et les écoles portant le nom des saints qui témoignent de siècles de culture catholique ? Faut-il laisser les politiciens et les élites locales fixer par électoralisme et démagogie la toponymie selon les tendances du moment ?
C’est sur le long terme que l’on juge la sagesse des décisions antérieures. Avoir son nom sur les murs de son pays est un honneur qui se mérite. Il faut posséder une vision à long terme de l’histoire, une large culture et une élévation d’esprit pour que les meilleurs d’entre nous survivent à l’oubli. Amherst en perdurant jusqu’à aujourd’hui nous a au moins permis de constater que notre morale collective a beaucoup évolué. Que le grand chef visionnaire Pontiac le remplace ne devrait donc choquer personne.