Nés pour un p’tit bain
Prêtez-moi votre imagination pendant quelques minutes. Fermez les yeux et visualisez la une du New York Times, du journal Le Monde ou du Times de Londres. C’est écrit « Deux bains par semaine », en majuscules noires.
Changeons de registre médiatique. Imaginez un instant que cette nouvelle occupe la une d’un tabloïd comme le New York Post, le London Daily Mirror ou Le Parisien.
Impensable. Et pour cause : il n’est pas question de fake news, mais de no news dans la plupart des pays développés. Je ne blâme pas les journaux d’ici d’en avoir fait la nouvelle du jour, mais comment se fait-il que nous en soyons rendus à nous exciter pour aussi peu ?
Cette histoire de bains a fait plus de bruit que l’inauguration en catimini (pourquoi ?), un dimanche après-midi, du nouveau CHUM, pourtant un des hôpitaux les plus avancés au monde technologiquement parlant, disait Philippe Couillard.
Qu’est-ce que cela dit de nous et de nos ambitions ?
PETITE VICTOIRE
Il n’y a qu’au Québec que l’on étale l’étroitesse de nos pseudo-victoires avec autant d’enthousiasme. Deux bains par semaine pour les résidents des CHSLD. Wow ! Quel endroit dynamique que ce Québec où le ministre de la Santé se charge de régler lui-même les microproblèmes qu’il a créés.
Le problème des bains n’aurait jamais dû exister. Pas quand il suffit de 30 millions $ pour le régler, des pinottes dans le budget de 37 milliards alloué à la santé au Québec. Sans oublier que nous nageons dans les surplus.
Je ne suis pas cynique. Je suis heureuse d’apprendre que les personnes âgées pourront recevoir deux bains par semaine. Du moins dès que seront embauchés les 600 préposés nécessaires pour faire le travail. Or, ce n’est pas demain la veille : les conditions de travail sont difficiles, les tâches ingrates et les salaires pitoyables. Il n’y a pas foule devant les CHSLD pour déposer un CV.
Le manque chronique de moyens, voilà le vrai scandale de la vie en CHSLD.
Et si le docteur Barrette manipulait nos émotions ? Le sort des personnes âgées ne laisse personne indifférent aujourd’hui et ne laissera personne indifférent demain, quand ce sera à notre tour de quémander une place en CHSLD, les enfants n’ayant plus le temps de s’occuper de leurs vieux parents. Ainsi va la vie moderne.
TOUT ÇA POUR ÇA
Il faut un certain culot pour se péter les bretelles pour un deuxième bain par semaine. Que devient le Québec ? Une province canadienne gérée à la petite semaine par des médecins technocrates à l’ego surdimensionné et en perpétuel déficit de compassion ?
L’effervescence qui a donné naissance aux grands projets des années 60 et 70 – les grands ouvrages hydroélectriques, l’Expo, le métro de Montréal – est chose du passé. Mis à part le projet du Réseau électrique métropolitain, il faudra se réjouir pour moins au XXIe siècle. Mais pour deux bains par semaine dans les CHSLD ?
Nos horizons ont-ils rétréci en même temps que se prolonge le règne libéral ?
En parlant de CHSLD, les nouveaux menus annoncés par le docteur Barrette en janvier dernier sont-ils maintenant offerts à tout le monde ?