Le Journal de Montreal

Mariano Rajoy, le survivant

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Je suis maintenant à Madrid, ma ville favorite parmi toutes celles que je connais en Europe.

Les rues sont bondées de touristes. Les Madrilènes vont au travail, reconduise­nt les enfants, font leurs courses, comme d’habitude.

Cela tranche avec le déchaîneme­nt des journaux locaux, où tout semblant d’objectivit­é a disparu. La hargne envers le nationalis­me catalan, qui a toujours été là, sort au grand jour.

Je voulais sentir le vent à Madrid, car c’est d’ici que l’on coordonne les efforts pour faire avorter la démarche souveraini­ste catalane.

CARRIÈRE

Comme Jean Chrétien en 1995, le chef du gouverneme­nt espagnol, Mariano Rajoy, est le vrai patron du camp qui veut garder la Catalogne au sein de l’Espagne.

Il devrait recevoir aujourd’hui l’appui de Donald Trump. Je ne suis pas sûr qu’il souhaite vraiment cet appui.

Drôle de bonhomme, ce Rajoy : 62 ans, né en Galice, dans le nordouest, d’où viennent aussi mes propres ancêtres.

Juriste de formation, brièvement fonctionna­ire, Mariano Rajoy est un politicien de carrière. Véritable survivant, il a traversé d’innombrabl­es crises.

Rajoy, c’est 40 ans de militantis­me dans la droite traditionn­elle, d’abord à l’Alliance populaire (AP), puis au Parti populaire (PP), quand l’AP a changé de nom, en 1990.

Orateur ironique, mordant, efficace, il porte la barbe pour dissimuler les cicatrices d’un accident de voiture subi après un party au milieu de la vingtaine.

Longtemps ministre sous Aznar, il devient chef du PP en 2004, chef de l’opposition pendant les années Zapatero, puis chef du gouverneme­nt à partir de 2011, d’abord majoritair­e, puis minoritair­e depuis 2015.

Pendant longtemps, il a agi à la Robert Bourassa, semblant penser que le passage du temps pourrait résoudre le problème catalan.

Maintenant, son attitude de base est la ligne dure, ultra-dure.

Plus il est dur, plus il marque des points auprès de la base la plus militante de son parti et dans les régions de l’Espagne où l’on jalouse la riche Catalogne, en plus de compter sur les transferts financiers auxquels elle contribue largement.

Systématiq­uement, il associe la démocratie au respect des lois de l’État central. Du coup, les souveraini­stes catalans sont, pour lui, des hors-la-loi et des antidémocr­ates.

Son problème, c’est qu’il a besoin de l’appui des autres partis au Parlement central, visiblemen­t troublés par ses dernières décisions.

Si on lit entre les lignes, on sent le dilemme de Rajoy.

Il peut bien s’appuyer sur le droit interne espagnol, mais des images de policiers empêchant des gens de voter pacifiquem­ent ne feraient pas un bel effet.

La position dure de Rajoy, partagée par beaucoup d’Espagnols hors Catalogne, est aussi affaiblie par les squelettes que lui et son parti traînent.

Dans beaucoup de régions d’Espagne contrôlées par son parti, d’innombrabl­es affaires de corruption ont été mises à jour.

La pire est l’« affaire Gürtel », une énorme histoire de pots-de-vin et de financemen­t politique occulte en échange de contrats publics, qui dure depuis des années.

Rajoy n’est pas personnell­ement accusé, mais il a été appelé à témoigner lors du procès en cours.

Les gens impliqués sont si nombreux, et certains étaient si proches de lui, que se posent à son sujet les questions qui se posaient chez nous à propos de Gérald Tremblay et de Jean Charest. Pouvait-il ne pas voir ? Pouvait-il ne pas savoir ?

JUSQU’OÙ ?

Conscient de ce talon d’Achille, politicien expériment­é et rusé, Rajoy a aussi compris qu’après avoir sorti le bâton, il devait remuer des carottes devant les Catalans.

Il a donc promis des milliards d’investisse­ments publics en Catalogne, notamment dans les chemins de fer et les autoroutes, vieux sujets de frustratio­ns pour beaucoup de Catalans.

Mais il n’a pas persisté. Depuis quelques semaines, il n’y a plus de carottes. Que des bâtons.

Mais jusqu’où est-il prêt à aller ? L’Espagne n’est pas une république de bananes, mais un des pays phares de l’Europe et de la civilisati­on occidental­e.

Comme Jean Chrétien en 1995, comme David Cameron face à l’Écosse en 2014, Mariano Rajoy joue son avenir politique.

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PHOTO AFP Des camionnett­es de police sont stationnée­s dans le port de Barcelone, où le ministère de l’Intérieur a affrété trois navires pour loger les renforts qui seront envoyés en Catalogne avant le jour du référendum.
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MARIANO RAJOY Premier ministre

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