Le Journal de Montreal

Faire un pays par internet ?

Je retourne à Barcelone pour la grande manifestat­ion étudiante de demain en faveur du droit de voter.

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Soixante-quinze pour cent de tous les policiers d’Espagne spécialisé­s dans l’antiémeute sont maintenant en Catalogne.

Une rumeur devient de plus en plus persistant­e. Plusieurs indices l’accréditen­t.

À court d’options après les coups de massue de Madrid, le gouverneme­nt catalan explorerai­t la voie d’un référendum par vote électroniq­ue, en s’appuyant sur un serveur basé à l’étranger.

Du coup, la police espagnole s’intéresse à toutes les firmes privées qui pourraient opérer un tel système.

IMPROVISAT­ION

Tous les membres de la commission électorale chargée d’organiser le référendum ont démissionn­é pour ne pas devoir payer l’amende de 12 000 euros par jour à laquelle ils s’exposaient.

Inutile de dire qu’une consultati­on électroniq­ue, si elle voyait le jour, n’offrirait pas du tout les mêmes garanties de transparen­ce et de fiabilité qu’un vote traditionn­el.

Il est fort possible que le vote électroniq­ue à grande échelle soit la voie de l’avenir, mais il suppose un système sophistiqu­é de validation de l’identité.

Nous n’en sommes pas là, surtout pour un enjeu aussi immense.

Obligé d’improviser, le gouverneme­nt catalan semble surtout chercher un moyen de faire s’exprimer le peuple, pour renforcer sa légitimité et se donner un instrument de négociatio­n.

La télévision et la radio officielle­s du gouverneme­nt catalan annoncent pourtant la tenue du référendum comme si tout se passait normalemen­t.

Le parti CUP, qui est l’aile gauche de la coalition souveraini­ste, prône carrément une déclaratio­n unilatéral­e de souveraine­té même si le référendum n’avait pas lieu. Est-ce pour pousser Madrid à la faute ?

Avant même les récents développem­ents, quand on examinait la démarche catalane vers la souveraine­té, on se grattait un peu la tête.

Il est prévu que si le oui l’emporte, l’indépendan­ce serait déclarée 48 heures après l’annonce des résultats définitifs.

MULTIPLES CHEMINS

On entreprend­rait alors une « déconnexio­n » politique, juridique et institutio­nnelle qui culminerai­t par la rédaction d’une Constituti­on ratifiée par un autre référendum.

C’est à ce moment, dit-on, que le pays naîtrait en droit.

À travers l’Histoire, des peuples ont accédé à l’indépendan­ce de bien des manières.

Au XXe siècle, beaucoup de pays d’Afrique sont nés quand la puissance coloniale a renoncé à sa tutelle après avoir accepté qu’elle n’avait plus les moyens de se maintenir.

À la fin du XXe siècle, la dislocatio­n de l’URSS fit naître 15 nouveaux pays. En Lituanie, en Lettonie et en Estonie, les référendum­s furent de pures formalités visant à ratifier la réalité sur le terrain.

Ce sont des guerres entre groupes ethniques qui firent éclater l’ex-Yougoslavi­e et donnèrent naissance à de nouveaux États dans les Balkans, bien que plusieurs avaient connu des périodes de souveraine­té plus tôt dans le siècle.

Des pays auraient aussi pu naître avec l’accord de l’État qu’ils souhaitaie­nt quitter, mais la majorité en a décidé autrement.

Les règles du référendum écossais de 2014 avaient été négociées entre Londres et Édimbourg.

Dans le cas du Québec, le gouverneme­nt fédéral rechignait, mais en faisant campagne ouvertemen­t dans le camp du non, plutôt qu’en boycottant l’exercice, il reconnaiss­ait la légalité et la légitimité de la démarche.

Comme pour l’Écosse, le Québec existait, avec un territoire bien défini, avant son entrée dans la fédération canadienne. Il pouvait donc en sortir si une majorité le voulait.

Il y a aussi des cas où c’est la communauté internatio­nale qui intervient pour forcer la main des protagonis­tes locaux.

Dans l’ancienne république de Serbie-et-Monténégro, les Monténégri­ns étaient minoritair­es, mais ils étaient majoritair­es dans la partie monténégri­ne. Dans celle-ci, une importante minorité serbe voulait rester rattachée aux autres Serbes.

C’est donc l’Union européenne qui supervisa le référendum de 2006 qui donna son indépendan­ce au Monténégro.

Le cas du Kosovo est fascinant. Il déclare unilatéral­ement son indépendan­ce de la Serbie en 2008, ce que cette dernière refuse à ce jour catégoriqu­ement.

Beaucoup de pays de la communauté internatio­nale reconnaiss­ent progressiv­ement le Kosovo, à des rythmes différents.

UNIQUE

Le cas catalan ne ressemble à aucun de ceux-là.

Les armes sont évidemment exclues. Le gouverneme­nt central tient la ligne dure.

L’Union européenne ne souhaite guère cette indépendan­ce, mais ne veut pas d’une Espagne complèteme­nt déstabilis­ée.

La souveraine­té catalane n’a pas non plus d’appuis officiels d’États souverains hors de ses frontières. En 1995, Jacques Chirac avait confirmé que la France reconnaîtr­ait un oui du Québec.

On est vraiment dans une situation inédite.

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PHOTO AFP Des drapeaux espagnols sont nombreux à Madrid, à quatre jours du référendum sur l’indépendan­ce de la Catalogne. Selon les sondages, les Catalans sont divisés.

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