Le Journal de Montreal

Le seau de merde

- RICHARD MARTINEAU richard.martineau@quebecorme­dia.com

Vous ai-je déjà expliqué ma théorie sur le seau de merde ? Non ?

Eh bien, la voici. Vous ne le savez pas, mais 25 pieds au-dessus de nos têtes, un seau rempli de merde se promène.

Toute la journée, il se balade au-dessus de nos têtes comme s’il était suspendu à un rail invisible.

Il passe au-dessus de votre tête. Il passe au-dessus de ma tête. Il passe au-dessus de la tête de votre voisin, de votre père, de votre mère.

Il se promène tranquille­ment, 25 pieds au-dessus de nous, en silence, comme un drone ou un ange.

24 HEURES DE SCHNOUTTE

Si vous êtes chanceux, le seau de merde va survoler votre tête et continuer son chemin.

Mais si vous êtes malchanceu­x, il va s’arrêter soudaineme­nt au-dessus de vous et déverser tout son contenu sur votre crâne, comme le baril rempli de sang dans le film Carrie.

Pendant 24 heures, vous allez être la risée de tout le Québec.

Tout le monde va vous pointer du doigt en riant et en se pinçant le nez, les internaute­s vont vous traiter de tous les noms et l’édition québécoise du Huffington

Post va publier une grosse photo de vous en disant que vous êtes le pire crétin de la province.

Pendant 24 heures, vous allez vous transforme­r en piñata. Tout le monde va vous fesser dessus à coups de bâton. On va vous traîner dans la boue, vous lancer des fléchettes et vous vouer aux gémonies.

Des gens que vous ne connaissez ni d’Ève ni d’Adam feront la queue pour vous cracher au visage.

Et puis, le lendemain, aussi subitement que ça a commencé, ça sera fini. Terminé.

Le seau de merde se sera déversé sur la tête d’une autre personne, et la meute en délire se précipiter­a pour aller tourmenter une nouvelle victime, un nouveau bouc émissaire.

LE SIÈCLE DU RESSENTIME­NT

C’est comme ça depuis l’apparition des égouts sociaux.

Avant-hier, le seau de merde s’est déversé sur la tête de Luc Lavoie, et après-demain, il se déversera peut-être sur celle de Guy A. Lepage, de Céline Dion ou de Gabriel Nadeau-Dubois, qui sait...

Au 21e siècle, la plèbe anonyme carbure à la rancoeur et au ressentime­nt, et cherche toujours un nouveau souffre-douleur pour déverser son fiel et vomir sa haine.

Un mot de travers, un gag stupide, et paf ! elle vous saute à la gorge et vous vide de votre sang comme si vous étiez un meurtrier d’enfants.

Je parle d’expérience, ayant déjà reçu le seau de merde sur la tête à quelques reprises.

La dernière fois, c’était pour un texte sur les femmes. Je déplorais le fait que trop de femmes avaient une mauvaise estime d’ellesmêmes.

Allez savoir pourquoi, ce texte dont l’ironie était pourtant évidente a excité les groupes féministes et pendant 24 heures, j’ai été l’ennemi numéro un du Québec.

J’ai creusé un trou, je m’y suis réfugié et j’ai attendu que la tempête passe.

LA CORDE AU COU

« La preuve du pire, c’est la foule », disait Sénèque.

Soyez prudent. Aujourd’hui, vous riez d’un inconnu en disant qu’il pue.

Demain, ce sera peut-être vous qui serez couvert de merde, entouré de gens qui rêvent de vous lyncher.

Demain, ça sera peut-être sur vous que le seau se déversera…

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