Il sort de la misère grâce à la musique
Keven Chouinard s’est drogué pendant 12 ans, a vendu son corps et a fait de la prison avant de s’en sortir
Keven Chouinard a pris la pire décision de sa vie à 13 ans. En fugue de son centre jeunesse du Saguenay, il a fait du pouce jusqu’à Montréal où il a sombré dans un calvaire qui allait durer 12 ans. Accro au crack, il se prostituait pour se le payer. Il a traversé illégalement la frontière des États-Unis et fait de la prison dans trois provinces. Aujourd’hui sobre, musicien et père de trois enfants, il se confie sans honte, car il veut inspirer d’autres à reprendre leur vie en main. « J’ai sombré au plus fond des bas fonds, dans la rue à sentir l’urine, à quatre pattes pour trouver une roche de crack à fumer, mais j’ai toujours gardé l’espoir de m’en sortir », confie l’homme de 37 ans, la gorge serrée.
Né d’un père chansonnier et d’une mère barmaid au Saguenay, Keven Chouinard a toujours été turbulent et défié l’autorité. Enfant, il a été abusé par son oncle, qui l’a aussi initié à la cocaïne alors qu’il n’avait que 11 ans.
« C’est ça qui me fâche le plus. À partir du moment qu’il m’a fait goûter à la coke, je ne l’ai lâché qu’à 25 ans », dit-il à propos de celui qu’il a dénoncé il y a quatre ans et fait condamner.
Tous ses problèmes de comportement par la suite l’ont mené dans un centre jeunesse pour la première fois à 12 ans. Il multipliait les courtes fugues et les vols dans les casiers du gym de l’établissement. Il pigeait l’argent comptant dans les porte-monnaie.
Puis, avec un ami, ils ont décidé de partir sur le pouce au Lac-Saint-Jean. Mais à mi-chemin, Keven Chouinard a plutôt choisi de partir à Montréal.
« C’est là que j’ai connu le pot, la mescaline et le temps passait sans que je m’en rende compte », dit-il.
PARTIR À TORONTO
Mais après trois mois à dormir dans des refuges et à errer dans le centreville, il a décidé de partir vers Toronto, une ville dont il avait vaguement entendu parler par d’autres toxicomanes.
« La première journée que je suis arrivé, j’ai essayé le crack », se souvient-il. Celui qui l’a initié se prostituait pour acheter sa drogue. « Il m’a appris que c’était ça qu’il fallait faire pour en avoir. »
C’est devenu sa routine pendant un mois, jusqu’à ce qu’il décide de fuir aux États-Unis. Il se souvenait d’un ami de sa mère qui s’occupait de chevaux de course en Floride. Il venait d’avoir 14 ans et c’est ce qu’il voulait faire.
POMPANO BEACH
« Je suis allé à Niagara Falls et le pont qui mène à Buffalo était en construction. J’ai ramassé un casque jaune qui traînait, je l’ai mis sur ma tête et j’ai traversé le pont. Les douaniers ne m’ont jamais posé de question. De l’autre côté, j’ai laissé le casque dans un McDonald’s», raconte M. Chouinard, encore étonné de sa témérité de l’époque.
Parlant à peine l’anglais, il s’est promené de truck stops en truck stops, jusqu’à Pompano Beach. Dans les rues, il demandait aux passants où trouver les « horses ». Puis, arrivé à l’hippodrome, on l’a dirigé vers le dénommé « Frenchie ».
« Quand il m’a vu, la gueule lui est tombée par terre. Il a appelé ma mère qui capotait, elle n’avait pas eu de mes nouvelles depuis cinq mois », poursuit-il.
M. Chouinard a travaillé deux semaines, dormant sur des balles de foin, le temps de gagner assez d’argent pour se payer un billet d’autocar de retour. Aux douanes, il a été récupéré par des agents de la Sûreté du Québec.
RETOUR AU CANADA
Mais à peine rendu à Montréal, il a repris la poudre d’escampette jusqu’à Ottawa. « Je suis parti à la course, ils ne m’avaient pas passé les menottes », dit-il, en riant.
Il a traîné pendant deux ans le long de la rue Sussex, de 1995 à 1997, à fumer du crack et à se prostituer pour le payer.
Il est retourné au Saguenay en apprenant que sa soeur aînée venait d’avoir un bébé. À cette époque, il parlait à sa mère une fois par mois au téléphone.
C’est de retour au centre jeunesse, sous surveillance serrée pendant six mois, qu’il a appris à jouer de la guitare. Mais il n’est pas resté calme longtemps et il s’est à nouveau sauvé à Montréal, où il a fait alors des vols dans des maisons pour s’acheter de la drogue.
À 18 ans moins trois jours, il a eu envie de voyager dans l’Ouest. Il a volé une Dodge Caravan et s’est mis à rouler sur la Transcanadienne.
Mais à Medicine Hat en Alberta, des policiers l’ont interpellé. Il a tenté de s’enfuir, en vain. Avec sa fuite, au volant d’un véhicule volé, il a écopé de trois mois de prison à Lethbridge.
PRISON
« Il y avait tout ce que tu veux en prison, j’ai essayé la morphine, le buvard, l’acide », énumère-t-il.
À sa sortie, avec un chèque d’aide sociale en main, il est allé à la banque le déposer et repartir avec l’argent comptant. Il a acheté sept grammes de crack et il a volé une Toyota Supra.
Il a roulé jusqu’à Golden dans les Rocheuses avant de manquer d’essence, puis il a fait du pouce jusqu’à Vancouver, la deuxième pire connerie de sa vie.
Là-bas, dit-il, la drogue n’était pas chère et les clients payaient davantage pour des fellations. C’est aussi à Vancouver qu’il a commencé à se piquer à l’héroïne, plus chère que le crack, mais dont le buzz durait bien plus longtemps.
Complètement gelé au crystal meth, la méthamphétamine, il s’est rendu sans trop savoir comment à Kelowna une journée. Il y a rencontré une adolescente, elle aussi en fugue, dans un bar.
Ne sachant pas qu’elle avait 15 ans, il a été arrêté pour détournement de mineur par les policiers. Leurs ébats, sur le quai d’un casino, avaient été filmés.
Il s’est retrouvé en prison à l’été 2002 à Kamloops pour plusieurs semaines, avant de pouvoir rentrer au Québec.
De retour au Saguenay, Keven Chouinard s’est construit une véritable petite cabane dans le bois où il s’est isolé six mois, avec sa mère qui cuisinait pour lui.
140 CHEFS D’ACCUSATION
Décidé à enfin reprendre sa vie en main, il est retourné à Montréal pour faire face aux 140 chefs d’accusation qui pesaient toujours contre lui pour vol et bris de probation, notamment.
Incarcéré à la prison de Bordeaux pour quatre mois en 2005, il est retombé dans la drogue. Mais à sa sortie, la cour l’a envoyé en thérapie.
« Le 15 juillet 2005, une date que je n’oublierai jamais », se souvient-il.
Après neuf mois de thérapie, il est retourné sur les bancs d’école pour terminer son secondaire. Il a ensuite fait deux diplômes d’études professionnelles (DEP), un en mécanique et l’autre en machinerie lourde.
« Quand j’ai eu fini mon DEP [en 2009] avec une mention d’honneur, c’était le coup de pied au cul qui m’a prouvé que je n’étais pas un trou de cul, que je pouvais avoir ma chance comme tous les autres », souffle-t-il en retenant ses sanglots.
Clean et salarié pour la première fois de sa vie, Keven Chouinard a alors pris contact avec la fille qu’il avait eue adolescent. Il a aussi rencontré sa conjointe, avec laquelle il a deux jeunes enfants à Napierville en Montérégie.
Mais il ne se passe pas une seule journée sans qu’il n’ait le goût « d’aller faire une poff », confie-t-il, conscient que son combat n’aura jamais de fin.
« J’AI SOMBRÉ AU PLUS FOND DES BAS FONDS, DANS LA RUE À SENTIR L’URINE, À QUATRE PATTES POUR TROUVER UNE ROCHE DE CRACK À FUMER, MAIS J’AI TOUJOURS GARDÉ L’ESPOIR DE M’EN SORTIR » - Keven Chouinard