Pousse, mais pousse égal
Je pense que lorsqu’on critique un ouvrage, on n’est pas obligé d’être d’accord avec l’auteur sur toute la ligne, surtout s’il y a plusieurs lignes tendues. Je me méfie toujours de ceux qui ont des solutions à tout. Le tuyau coule? C’est la faute à la mauvaise qualité des tuyaux. Il pleut à boire debout depuis deux jours? C’est la faute aux changements climatiques. Il y a moins d’étudiants inscrits dans les universités québécoises en comparaison des États-Unis ? C’est parce que les droits de scolarité sont trop bas.
C’est un peu ce que conclut l’auteur de ce Pari québécois. Se basant sur une affirmation de l’ex-chancelière de l’Université McGill, selon laquelle il est faux de croire que des droits de scolarité peu élevés favorisent une plus grande accessibilité, il fustige les étudiants qui, en 2012, se sont lancés dans une lutte pour réclamer le gel des frais de scolarité, sinon leur gratuité. « À voir à la télé ces mères en furie, ces enseignants enragés, ces jeunes résistantes pleurant sur leur pauvre sort dans une chaîne humaine défiant la police, on se pinçait : étions-nous à l’époque du Vietnam, sur la place Tiananmen… ? » J’appelle cela, moi, faire fausse route ou se mettre un pied dans la bouche.
CHOCS CULTURELS QUÉBÉCOIS
Serge Cabana relève quatre grands chocs culturels qu’aurait connus le Québec au cours des cinquante dernières années et il nomme sept grands blocages ou « sept freins majeurs au développement du Québec » : les stigmates du colonisé ; l’obsession indépendantiste ; la dépendance à l’État-providence ; la rectitude politique ; le repli individualiste ; le dogme de l’égalitarisme et, finalement, le rejet du spirituel.
Donc, nous serions des obsédés de l’indépendance et cela aurait l’effet d’un « véritable gaz paralysant ». Moi qui croyais, comme Gaston Miron, que tant que l’indépendance n’est pas faite, elle reste à faire, me voilà qualifié d’obsédé. L’auteur a cette propension, dans son argumentaire, à caricaturer et cela nuit à son plaidoyer. On l’a vu ci-dessus avec le Printemps érable de 2012, on le voit lorsqu’il parle de « la nuit des grands couteaux », où les fédéralistes sont qualifiés de « méchants » pour mieux ridiculiser la délégation conduite par René Lévesque qui va « se positionner en vierge offensée. En grande victime. Et consacrer ainsi le mythe du Québécois comme éternel perdant, toujours victime des “maudits Anglais” ».
La question nationale ne divise pas le Québec depuis un demi-siècle, comme l’affirme l’auteur, mais plutôt depuis la défaite de 1760, depuis les insurrections de 1837-1838, depuis l’Acte d’union de 1840, depuis la pendaison de Louis Riel, depuis la conscription de 1917, depuis la nuit des longs couteaux, depuis le référendum volé (et non pas perdu) et j’en passe.
STIGMATISATIONS
Les Québécois se considèrent, certes, émancipés et heureux, mais cela ne signifie pas qu’ils ne veuillent plus militer en faveur d’un projet commun comme celui de se donner un pays. Faisant fi de l’exemple tout chaud de la Catalogne, l’auteur en vient à proposer « une troisième voie : la voie du garage ». Oublions le projet indépendantiste pour un temps, comme si c’était ce que proposait le chef du Parti québécois. Rêvons d’abord, dit-il, et « nous verrons ensuite si nous avons besoin de la souveraineté pour transformer le rêve en réalité ». On peut supposer que son idée est déjà faite. Puisque, selon lui, nous avons tellement bien réussi notre « survie politique, économique, culturelle », puisqu’on s’est tellement bien donné les moyens de diriger notre développement, il ne serait plus nécessaire de revendiquer notre indépendance parce que notre réussite s’est effectuée « à l’intérieur de l’union canadienne ». Même « l’alouette de Félix Leclerc n’est plus en colère ».
Heureusement, d’autres « blocages » me semblent plus pertinents. Ainsi lorsqu’il stigmatise les « dérives de la rectitude politique […] le nouveau code moral de la pensée socialement admise ». On a même interdit sur le campus de l’Université d’Ottawa un cours de yoga pour personnes handicapées « parce que le yoga vient de l’Inde, jadis victime du colonialisme britannique ».
Ce livre est peuplé de bonnes intentions !