Faites-moi rire, chers humoristes !
Subitement submergés par un irrésistible courant de pruderie, soudain épris de rectitude et d’un brûlant désir d’éthique, animés d’un brusque élan de solidarité et de fraternité, éprouvant même quelque gêne à ce que le prix de leurs spectacles soit hors de portée des plus défavorisés, 30 de nos humoristes bien connus quittent la terre souillée de Juste pour rire pour atteindre de nouveaux rivages du rire.
Soucieux d’originalité, ces réfugiés de Juste pour rire ont déjà baptisé leur nouveau monde. Il s’appellera Le Festival du rire de Montréal. Toute une trouvaille !
Guidée par Martin Petit, un habitué de ce type d’embarcation depuis qu’il écrit Les pêcheurs, la chaloupe des migrants a franchi le Rubicon. Ils ont aussitôt pris leurs distances vis-à-vis le festival qui leur avait donné le jour. Une fois leur drapeau planté, ils ont fait appel sans tarder à la générosité de nos gouvernements afin qu’ils les aident à défricher leurs nouvelles terres.
L’HUMORISTE NOUVEAU
Ces nouveaux colons de l’humour n’ont rien à voir avec les anciens. Ils abhorrent l’ignoble exploitation dont eux et leur public adoré furent victimes au sein de l’empire Juste pour rire. Leur organisme sera donc sans but lucratif.
À moins de me tromper, le festival Juste pour rire était aussi à but non lucratif. À ses débuts du moins. Cela n’a pas empêché son créateur Gilbert Rozon de devenir millionnaire. Je crois même que cette situation fiscale avantageuse a pu lui donner un solide coup de pouce. Mais ça, c’est une autre histoire.
Si j’ai bien compris l’acte fondateur de la nouvelle colonie de l’humour, le petit Jérémy pourra enfin se montrer la face en public. La petite Cedrika Provencher reposera en paix et Alice Paquet retrouvera sa dignité. Mes collègues Richard Martineau et Sophie Durocher pourront quitter un spectacle sans que Guillaume Wagner les compare à Hitler et Eva Braun. Jamais plus Sugar Sammy n’associera Marianna Mazza à un « hand job » et on pourra voter avec un sac de patates sur la tête sans qu’Adib Alkhalidey en fasse un plat.
SO… SO… SOLIDARITÉ !
Finis les gags de mononcle sur les grosses, les belles-mères, les frigides et les menstruées ! Finies les blagues sur les tapettes, les handicapés, les musulmans, les jaunes, les newfies, les noirs, les blondes ! Plus de jokes de fesses, de queues, de boules et de pipi, caca ! Grâce à nos nouveaux colons, l’humour québécois sera propre, propre, propre.
Nos humoristes qui se méfiaient les uns des autres, qui se volaient des gags, qui disaient pis que pendre de leurs confrères et s’entredéchiraient seraient maintenant réconciliés ? Ils riraient main dans la main ? Ils s’épauleraient les uns les autres ? Ils assisteraient aux spectacles de leurs confrères ? Sauf Guy Nantel parce que lui, ils ne le trouvent pas drôle. Faites-moi rire, chers humoristes !
Serait-ce utile de rappeler à ces 30 rescapés de « l’enfer » de Juste pour rire que la guerre des festivals est une tradition montréalaise qui n’a fait que des victimes jusqu’ici. La vaine tentative d’Alain Simard de supplanter le Festival des films du monde n’a profité qu’à Toronto.
Il a fallu 35 ans pour faire de Juste pour rire une image de marque internationale. Malgré l’indignité de son créateur, Juste pour rire ne mérite pas de mourir sous les coups de ceux-là mêmes dont il a fait des vedettes.
TÉLÉPENSÉE DU JOUR
C’est une belle victoire de Denis Coderre d’avoir perdu avec autant d’élégance.