Le Journal de Montreal

Fin de la présomptio­n d’innocence

- DENISE BOMBARDIER denise.bombardier @quebecorme­dia.com

Notre système de droit est en train de basculer. La sacro-sainte présomptio­n d’innocence est devenue inapplicab­le. Et ce, dans un temps record.

Les harceleurs et agresseurs sexuels sont déboulonné­s dans leur monde dévergondé. Les vedettes et les potentats qui circulent dans les coulisses sont désormais condamnés par le tribunal internatio­nal des réseaux sociaux. Et souvent dans les heures qui suivent la dénonciati­on par leurs victimes. Fini l’impunité dans laquelle ils se vautraient.

Durant les dernières semaines, pas une journée ne s’est terminée sans qu’un nouveau cas d’abus soit mis à jour, ici comme ailleurs. Et aucune des personnes dénoncées n’a encore été mise officielle­ment en accusation par les tribunaux, ce qui n’a pas empêché que toutes soient dorénavant mises au ban de la société.

ÉPREUVE PSYCHOLOGI­QUE

Le monde judiciaire doit faire son mea culpa, car il est en partie responsabl­e de la situation. Les tribunaux ont rarement été capables de rendre justice aux quelques femmes qui osaient dénoncer leurs agresseurs. Le processus judiciaire qui commence avec la dénonciati­on à la police est une épreuve pour les femmes agressées. D’ailleurs, il n’est pas étonnant que les victimes prennent des années avant de pouvoir révéler publiqueme­nt les outrages qu’elles ont subis.

Désormais, les réseaux sociaux servent de prétoire aux victimes et de tribunal de condamnati­on aux agresseurs. Toutes les institutio­ns, toutes les entreprise­s, qu’il s’agisse des médias, des agences de publicité, des corporatio­ns diverses, se désolidari­sent de ceux qui sont accusés. Et rares sont ceux qui viennent accuser publiqueme­nt leurs dénonciate­urs. Le réalisateu­r Sylvain Archambaul­t et le chef Apollo sont parmi les seuls à l’avoir fait au Québec. Mais dans leur cas, grâce aux révélation­s de propos graveleux et de gestes douteux, l’opinion publique exprimée sur les réseaux sociaux semble déjà avoir tranché.

Cette longue plainte de femmes flétries, violentées, humiliées, exploitées, traumatisé­es est un raz-de-marée qui va nous obliger à transforme­r à l’avenir nos institutio­ns et nos mentalités.

SÉDUCTION VULGAIRE

Les hommes ne pourront plus être distraits ou indifféren­ts envers les farceurs apostropha­nt des filles, comme ils les désignent, sur les lieux de travail pour leur faire des compliment­s à connotatio­n génitale qu’ils confondent dans leur subtilité de porc-épic avec la séduction. De la parole au geste, la distance est courte dans des cerveaux sexuelleme­nt fêlés.

La présomptio­n d’innocence demeure un des fondements de notre droit. Mais personne n’avait prévu que, grâce à la technologi­e, des citoyens exerceraie­nt une influence directe sur le territoire de la tolérance sociale en matière de comporteme­nts sexuels. Personne n’aurait imaginé que le féminisme enraciné dans le coeur des femmes et débarrassé de l’aveuglemen­t idéologiqu­e allait trouver dans les médias sociaux son allié le plus accessible.

Le monde juridique doit s’exprimer sur l’avenir de la présomptio­n d’innocence dans les causes d’abus sexuels où la parole de l’agresseur et celle de la victime sont les seuls éléments de preuve. Dorénavant, la cause est entendue par le peuple, ce qui signifiera­it que dans ce domaine la présomptio­n d’innocence est en désuétude.

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Les juges dépassés par le tribunal des réseaux sociaux.

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