Un Québécois accusé de blanchir de l’argent se défend à Madrid
Un prête-nom de la capitale est dans le pétrin à cause de sociétés-écrans créées pour des Espagnols
Un homme d’affaires originaire de Québec clame son innocence, mais risque tout de même quatre ans de prison en Espagne pour blanchiment d’argent.
Selon les procureurs à Madrid, Jean-François Saint-Laurent a aidé les cerveaux d’une des pires escroqueries du pays à blanchir des dizaines de millions d’euros à l’aide de sociétés-écrans créées ici même, dans ses bureaux de la capitale.
L’homme d’affaires de 46 ans, un fournisseur de sociétés-écrans canadiennes aujourd’hui installé en Suisse, multiplie les aller-retour entre Genève et Madrid pour se défendre depuis que les procureurs anticorruption l’ont accusé en octobre 2016.
« Je suis dégoûté de ce qui m’arrive. Je n’ai rien à me reprocher, assure-t-il dans une entrevue avec notre Bureau d’enquête. C’est un grand délire collectif. »
Les procureurs espagnols sont pourtant tout ce qu’il y a de plus sérieux.
Selon eux, Jean-François Saint-Laurent a créé cinq sociétés-écrans dans ses bureaux de Québec pour des escrocs allégués, dans le cadre d’un vaste système pyramidal ayant affecté des dizaines de milliers d’investisseurs (l’affaire Fórum Filatélico).
Mais l’homme d’affaires assure qu’il ignorait tout des pratiques alléguées de Fórum Filatélico.
LA THÈSE ESPAGNOLE
« À ce jour, ce dossier m’a coûté un demi-million en frais d’avocats, dit-il. Maintenant que se passera-t-il ? Simple : Je vais gagner... et l’Espagne ira en appel de mon acquittement et j’en aurai pour 10 ans de plus à payer, jusqu’à l’audition en appel, que je gagnerai aussi. »
Madrid affirme que les compagnies Québec inc. et Canada inc. qu’il a enregistrées ont permis aux fraudeurs allégués de blanchir plus de 56 M€ (85 M$).
Selon les procureurs fiscaux, les fonds ayant abouti dans les comptes de ces sociétés offshore bien de chez nous provenaient surtout d’une série de transactions bidon, mises en place « pour détourner les fonds des investisseurs ».
Derrière l’une des sociétés que Jean-François Saint-Laurent a créées se cachait même un dirigeant en fuite de Fórum Filatélico, que la justice espagnole cherchait à traduire en justice pour blanchiment de l’argent de la drogue.
Une partie de son butin – plus de 8 M€ – a trouvé sans peine son chemin jusque dans un compte de la Financière Banque Nationale à Place de la Cité, à Québec.
De son côté, Jean-François Saint-Laurent clame son innocence. Il dit avoir créé Dumar à la demande de Thierry Ulmann. Cet avocat suisse est connu pour avoir représenté Mossack Fonseca, le cabinet au centre de la vaste fuite d’informations sur les paradis fiscaux de l’an dernier, les Panama Papers.
IL SE DIT INNOCENT
Jean-François Saint-Laurent assure que Thierry Ulmann lui a caché l’actionnaire réel de Dumar.
Depuis les années 1990, l’homme d’affaires de Québec a domicilié des dizaines de sociétés-écrans à ses bureaux, dont plusieurs liées à Mossack Fonseca. Mais il insiste : ses activités d’enregistrement d’entreprises sont tout à fait légales, selon lui.
« Pour chaque dossier, je me suis toujours assuré que toutes les lois étaient respectées et que les bénéficiaires (actionnaires réels) étaient des groupes et dirigeants au-dessus de tout soupçon. »
En 2008, il a déménagé ses pénates à Genève pour travailler là où l’argent se trouve et traiter directement avec les banquiers, avocats et comptables qui payent pour ouvrir des compagnies québécoises offshore.
« Une société canadienne se vend 8000 $ à Genève, alors qu’au Québec, le fournisseur local recevra 1000 $ », dit-il. Pour lui, mieux vaut se garder la part du lion.
— Avec Andrea Valeria