Le Journal de Montreal

Le Canada doit repenser le maintien de la paix

- FATIMA HOUDA-PEPIN fatima.houda-pepin @quebecorme­dia.com

Politologu­e, consultant­e internatio­nale et conférenci­ère

Une rencontre des ministres de la Défense s’est tenue à Vancouver les 14 et 15 novembre dernier. Elle a réuni 550 délégués de 79 pays et des représenta­nts de 5 organisati­ons internatio­nales (ONU, OTAN, Union européenne, Union africaine et Organisati­on internatio­nale de la francophon­ie).

Au menu, des discussion­s sur les façons d’améliorer les opérations de maintien de la paix de l’ONU et encourager les États participan­ts à s’impliquer davantage. Un objectif partagé, initialeme­nt, par le premier ministre, Justin Trudeau, quand il a claironné que « le Canada est de retour » et s’est avancé à fournir 600 soldats et 150 policiers.

UNE INSTITUTIO­N CANADIENNE

Rattrapé par la réalité, il n’a livré qu’une aide logistique et une force d’interventi­on rapide de 200 militaires ainsi que 21 millions de dollars destinés à rehausser la participat­ion des femmes au sein des Casques bleus.

Le calendrier de déploiemen­t et les pays bénéficiai­res de ces ressources n’ont pas encore été précisés, car, dit-il : « La nature des conflits a changé » et « Les besoins des opérations de paix aussi ». Un constat bien réel, mais qui lui a valu bien des critiques.

Les Casques bleus sont nés à l’instigatio­n d’un diplomate et futur premier ministre canadien, Lester B. Pearson. Il en avait fait la propositio­n par voie de résolution à l’ONU le 4 novembre 1956. La mise sur pied d’une telle force d’interventi­on d’urgence, à l’époque de la crise du canal de Suez lui avait valu le Prix Nobel de la Paix.

Mais le contexte internatio­nal a bien changé. Les conflits entre États ont cédé le pas aux conflits intraétati­ques, entre communauté­s interethni­ques et interrelig­ieuses, entre des régimes totalitair­es et des sociétés civiles qui aspirent à la démocratie, entre des peuples dépossédés de leurs richesses et de leur identité, et des pouvoirs inféodés aux puissances néocolonia­les.

LES GUERRES ASYMÉTRIQU­ES

La montée de l’islamisme radical, du djihadisme et du terrorisme rend la stabilité de ces pays encore plus fragile et l’hostilité à l’égard de l’Occident plus ouverte. On assiste désormais à des guerres asymétriqu­es entre des armées régulières qui protègent des régimes corrompus et des combattant­s armés, rompus aux techniques de guérillas.

Il y a actuelleme­nt près de 100 000 militaires et civils de 124 pays déployés par l’ONU à travers le monde, dans 16 opérations de maintien de la paix, un nombre inégalé de Casques bleus, mais la solution militaire à elle seule ne suffit plus.

Les déboires des Casques bleus en Haïti et en Afrique sont aussi une source de préoccupat­ion, surtout quand le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Gueterres, rapatrie d’un coup, 600 Casques bleus de la République du Congo à la suite d’accusation­s d’agressions sexuelles (en août 2017).

Oui, Justin Trudeau a raison de faire preuve de réserve. On ne peut plus se contenter d’envoyer une armada de soldats dans les zones à haut risque. Il faut repenser la notion même de maintien de la paix dans le contexte actuel.

Il faut aussi envisager des solutions plus adaptées à la réalité du terrain, investir davantage dans les actions humanitair­es et dans l’appui aux femmes et aux collectivi­tés locales. Les ressources civiles et policières sont plus adéquates pour relever de tels défis et protéger les population­s vulnérable­s. La médiation est aussi un domaine où l’expertise du Canada est mondialeme­nt reconnue.

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Justin Trudeau assistait à la rencontre des ministres de la Défense à Vancouver en début de semaine.
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