Un prof se fait refuser un mot latin jugé immoral
Québec rejette « lupanar », qui signifie « bordel », dans son nom de cours de tango
Un professeur de tango s’est fait refuser l’utilisation du mot latin « lupanar » pour ses soirées de danse par le Registraire des entreprises, sous prétexte que ce terme signifie « maison de prostitution ».
Rémy Vézina est professeur de danse latine sur la Rive-Sud. Pendant trois mois l’automne dernier, il a organisé des soirées baptisées « Lupanar » dans un café de Saint-Lambert.
Lorsqu’il a voulu enregistrer ce nom pour en être l’unique utilisateur, le Registraire des entreprises du Québec l’en a empêché. M. Vézina a porté la cause devant le Tribunal administratif du Québec, qui a penché en faveur du Registraire.
« C’est complètement ridicule, se plaint l’homme de 53 ans. On me disait que les gens allaient penser que c’était un bordel, et non une soirée de danse. Comment ils font pour savoir ce que les gens pensent vraiment ? »
C’EST LA LOI
Le Registraire a invoqué la Loi sur la publicité légale des entreprises pour jus- tifier son refus. Celle-ci stipule qu’on ne peut enregistrer un nom « qui comprend une expression qui évoque une idée immorale, obscène ou scandaleuse ».
On lui a même suggéré d’utiliser « bordel » plutôt que « lupanar ».
« Comme si les gens n’allaient pas faire l’association ! », s’indigne le danseur. Il s’est tout de même servi du mot « lupanar » pour faire de la publicité sur Facebook.
Le procureur du Registraire explique que le terme « lupanar » n’a qu’un seul sens, celui de « maison de prostitution ». « Bordel », quant à lui, peut vouloir dire « maison close », mais aussi un « grand désordre » ou encore un « grand tapage ».
« Si je tenais un bordel, pensez-vous vraiment qu’il y aurait un lien entre l’activité de l’entreprise et le nom ? Les deux ne sont pas nécessairement liés. »
POÉSIE
La professeure au département de littérature de l’Université Laval, Pascale Fleury, ne considère pas le mot « lupanar » comme un terme vulgaire.
« Même s’il renvoie effectivement à un bordel, il est plus poétique, car il évoque du même coup l’animalité de la louve et l’origine de Rome », croit-elle.
Les courtisanes de l’Antiquité pos- sédaient souvent des talents artistiques, comme le chant ou la danse. Employer « lupanar » pour une soirée de danse a donc un certain sens, selon la professeure.
Elle est toutefois plus frileuse à l’utilisation du mot « bordel ». « En tout cas, il est beaucoup plus connoté de nos jours que le terme “lupanar”. »
PROVOCANTE
À l’origine, le tango était une danse très provocante, explique M. Vézina. Souvent, il était dansé dans les bordels. Au fil des ans, la danse a évolué pour devenir plus acceptable aux yeux de la société.
« Je voulais trouver un nom historique, mais qui allait être quand même original. Qui sait vraiment ce que ça veut dire, lupanar ? »
Le professeur de la Rive-Sud n’organise plus de soirée de danse. Sans nom enregistré, les propriétaires de salles sont réticents à lui louer un local et lui facturent le gros prix.
« J’en suis à me demander si je ne change pas de nom pour mes soirées », confie-t-il.