Bourrasque sur les chrétiens américains
Il y a des traditions auxquelles les gens sont attachés, même si eux-mêmes ne s’y soumettent plus. Aux États-Unis, par exemple, on tient à savoir que le président va à la messe (de temps à autre tout au moins), bien que, selon la plus vaste étude sur l’identité et les pratiques religieuses jamais réalisée, de moins en moins d’Américains se retrouvent sur les bancs d’église.
Le président Trump a assisté, tard dimanche soir, avec la première dame, à la messe de minuit de sa paroisse, Bethesda-by-the-Sea, à Palm Beach, en Floride. Étrange paroisse pour un homme installé à la Maison-Blanche et que tout le monde associe à la ville de New York.
Pourtant, les Trump la connaissent bien cette église anglicane : Donald et Melania s’y sont mariés en 2005 et c’est là que leur fils Baron a été baptisé l’année suivante. Au fil des ans, selon la presse, on les y a vus à la veille de Noël ou à Pâques.
Il faut dire qu’à cinq minutes du complexe du président à Mar-a-Lago, cette église historique construite en 1889 à partir de morceaux de bois rejetés par la mer a le double avantage d’être tout à côté et d’avoir du caractère.
RELIGIEUX, DONALD TRUMP ?
Plusieurs s’étonnent plutôt que Donald Trump puisse vouloir être perçu comme un homme de foi, alors que ses politiques – à l’égard des immigrants et des réfugiés, par exemple – et que le ton agressif, voire haineux, de certains de ses messages sur Twitter, ne correspondent pas, c’est le moins qu’on puisse dire, à l’idée qu’on se fait du bon chrétien.
Son style, ce qu’il dit et la façon qu’il le dit, couplés à ses infidélités, ses multiples mariages et ses faillites feraient de n’importe qui d’autre un infréquentable dans les milieux évangéliques américains. Or, ces ultras du Bon Dieu se montrent, de toute évidence, aussi opportunistes que n’importe quel autre croyant… ou athée.
Le président leur a donné à la Cour suprême, avec Neil Gorsuch, un juge conservateur qui protégera, voire promouvra, leurs priorités, notamment la liberté religieuse et la restriction de l’accès à l’avortement. Les tribunaux à d’autres niveaux du système judiciaire sont aussi lentement paquetés de juges conservateurs, qui auront un impact sur les jugements qui seront rendus durant toute une génération.
Et avec la décision de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, Trump leur a fait une immense faveur, au détriment de tout le processus de paix au Proche-Orient.
DES CHRÉTIENS QUI CHANGENT
Cela dit, c’est injuste de se contenter de ce portrait. Les chrétiens américains sont en plein bouleversement. Il y a quarante ans, selon le PRRI (l’Institut de recherche sur les religions publiques), huit Américains sur dix (81 %) étaient blancs et chrétiens, alors que le même groupe ne rassemble plus que 43 % de la population.
Et ces chrétiens – protestants, catholiques et autres – sont vieillissants, alors que plus du tiers des musulmans, des hindous et des bouddhistes ont moins de trente ans. Même chose d’ailleurs pour ceux qui ne s’associent à aucune religion.
C’est peut-être, me semble-t-il, la tendance de fond : dans vingt États américains, plus de gens disent n’être affiliés à aucune religion que de croyants avouent appartenir à une confession précise. Et même ceux qui se donnent rendez-vous dans les églises, les synagogues et les mosquées ne partagent plus le sens du sacré d’antan. À la messe de minuit à laquelle le président a assisté, le révérend James Harlan a dû interrompre son propos pour demander aux fidèles d’éteindre leurs cellulaires et leurs caméras. « Nous sommes ici pour prier », a-t-il dû leur rappeler. Même à l’église, on fait de plus en plus à notre tête.