Pour la liberté de la presse
Un débat politique secoue les journaux en ce début d’année.
Le gouvernement Couillard a décidé en décembre de prêter de l’argent à Capitale Médias, cette entreprise à laquelle Power Corporation a vendu en mars 2015 tous les quotidiens « régionaux » de Gesca.
Capitale Médias est la propriété de Martin Cauchon, ancien ministre libéral à Ottawa, et un protégé de la famille Desmarais.
On peut être tenté de voir dans ce geste une manière pour Québec de chercher à influer sur la couverture et les opinions de ces journaux.
Le patron de Québecor – mon patron –, Pierre Karl Péladeau, ancien chef de l’opposition officielle, ne s’est pas privé de le faire d’ailleurs sur les réseaux sociaux.
Avant Noël, une recension des éditoriaux électoraux de 2014 des journaux de Capitale Médias a montré qu’ils ont tous, sans exception, appelé à voter pour Philippe Couillard.
Mis bout à bout, ces deux faits semblent constituer une suite logique. Traitez-moi de naïf, mais je n’en suis pas certain.
MON MALAISE
Comme plusieurs – même au sein des entreprises en question –, j’éprouve un malaise face à la manière choisie pour aider les journaux.
Attention : ils peuvent mériter un coup de main. Et pas seulement parce que je suis camelot et – accessoirement – journaliste. Plusieurs autres démocraties le font. Bien sûr, ce n’est pas parce que tout le monde le fait qu’il faut les imiter.
Mais sans les médias traditionnels dans lesquels des journalistes de métier s’intéressent à temps plein à la chose publique, il n’y a pas d’espace public démocratique digne de ce nom. Or, les journaux sont en crise.
Certains disent : « Bof, pas besoin des médias traditionnels, j’ai Facebook ! » Cela revient à dire : « Bof, pas besoin des agriculteurs, j’ai les supermarchés ! », pour paraphraser un mot d’esprit d’un Américain dont le nom m’échappe.
LE DEVOIR ?
En aidant Capitale Médias, peutêtre le gouvernement veut-il aider un chapelet de journaux qui lui sont favorables. En tout cas, s’il croit s’assurer une victoire grâce aux éditorialistes, le pari est très risqué : toutes les pages éditoriales montréalaises ont appelé à voter Coderre aux élections du 5 novembre !
De même, s’il veut aider des voix favorables, pourquoi prêter de l’argent au Devoir ? Car, en effet, celui-ci a reçu, dans la même opération, un petit 526 000 $. (On a eu besoin d’un autre journal, Le Soleil, pour le savoir ! Comme quoi la diversité des sources d’informations est capitale…)
Si le gouvernement espère secrètement qu’en donnant un coup de pouce au Devoir le chroniqueur Michel David, par exemple, deviendra un meneur de claque libéral, il se goure.
MAUVAISE MÉTHODE
Le gouvernement aurait dû procéder autrement. Aider les journaux par le truchement d’Investissement Québec, faire une annonce en présence de ministres, ce n’est rien pour soigner les apparences.
Pourquoi ne pas procéder via le Conseil des arts et lettres ? Le fédéral ne le fait-il pas depuis des lustres avec les magazines ? Peut-être le gouvernement Couillard était-il pressé, ayant trop attendu que le fédéral bouge ?
Faut-il avoir peur maintenant que les patrons des quotidiens aidés par l’État soient tentés de ménager le gouvernement, par exemple lors du renouvellement du coup de pouce ? Considérant la manière choisie par le gouvernement Couillard, la question se pose. Les partis devraient promettre d’abolir le type d’aide improvisé pour le remplacer par un « programme normé ».
Entre-temps, les journalistes et chroniqueurs des médias aidés ne se mueront pas pour autant en marionnettes du pouvoir. J’ai confiance en eux, en leur engagement profond à l’égard de la déontologie de leur métier.
Je ne suis donc pas d’accord sur ce point avec le propriétaire de l’entreprise de presse pour laquelle je travaille. Je sais très bien qu’il ne m’en tiendra pas rigueur. Car nous avons une liberté d’opinion exemplaire en ces pages et au Québec.