Le Journal de Montreal

Pour la liberté de la presse

- ANTOINE ROBITAILLE Chef du Bureau d’enquête au Parlement de Québec c antoine.robitaille @quebecorme­dia.com

Un débat politique secoue les journaux en ce début d’année.

Le gouverneme­nt Couillard a décidé en décembre de prêter de l’argent à Capitale Médias, cette entreprise à laquelle Power Corporatio­n a vendu en mars 2015 tous les quotidiens « régionaux » de Gesca.

Capitale Médias est la propriété de Martin Cauchon, ancien ministre libéral à Ottawa, et un protégé de la famille Desmarais.

On peut être tenté de voir dans ce geste une manière pour Québec de chercher à influer sur la couverture et les opinions de ces journaux.

Le patron de Québecor – mon patron –, Pierre Karl Péladeau, ancien chef de l’opposition officielle, ne s’est pas privé de le faire d’ailleurs sur les réseaux sociaux.

Avant Noël, une recension des éditoriaux électoraux de 2014 des journaux de Capitale Médias a montré qu’ils ont tous, sans exception, appelé à voter pour Philippe Couillard.

Mis bout à bout, ces deux faits semblent constituer une suite logique. Traitez-moi de naïf, mais je n’en suis pas certain.

MON MALAISE

Comme plusieurs – même au sein des entreprise­s en question –, j’éprouve un malaise face à la manière choisie pour aider les journaux.

Attention : ils peuvent mériter un coup de main. Et pas seulement parce que je suis camelot et – accessoire­ment – journalist­e. Plusieurs autres démocratie­s le font. Bien sûr, ce n’est pas parce que tout le monde le fait qu’il faut les imiter.

Mais sans les médias traditionn­els dans lesquels des journalist­es de métier s’intéressen­t à temps plein à la chose publique, il n’y a pas d’espace public démocratiq­ue digne de ce nom. Or, les journaux sont en crise.

Certains disent : « Bof, pas besoin des médias traditionn­els, j’ai Facebook ! » Cela revient à dire : « Bof, pas besoin des agriculteu­rs, j’ai les supermarch­és ! », pour paraphrase­r un mot d’esprit d’un Américain dont le nom m’échappe.

LE DEVOIR ?

En aidant Capitale Médias, peutêtre le gouverneme­nt veut-il aider un chapelet de journaux qui lui sont favorables. En tout cas, s’il croit s’assurer une victoire grâce aux éditoriali­stes, le pari est très risqué : toutes les pages éditoriale­s montréalai­ses ont appelé à voter Coderre aux élections du 5 novembre !

De même, s’il veut aider des voix favorables, pourquoi prêter de l’argent au Devoir ? Car, en effet, celui-ci a reçu, dans la même opération, un petit 526 000 $. (On a eu besoin d’un autre journal, Le Soleil, pour le savoir ! Comme quoi la diversité des sources d’informatio­ns est capitale…)

Si le gouverneme­nt espère secrètemen­t qu’en donnant un coup de pouce au Devoir le chroniqueu­r Michel David, par exemple, deviendra un meneur de claque libéral, il se goure.

MAUVAISE MÉTHODE

Le gouverneme­nt aurait dû procéder autrement. Aider les journaux par le truchement d’Investisse­ment Québec, faire une annonce en présence de ministres, ce n’est rien pour soigner les apparences.

Pourquoi ne pas procéder via le Conseil des arts et lettres ? Le fédéral ne le fait-il pas depuis des lustres avec les magazines ? Peut-être le gouverneme­nt Couillard était-il pressé, ayant trop attendu que le fédéral bouge ?

Faut-il avoir peur maintenant que les patrons des quotidiens aidés par l’État soient tentés de ménager le gouverneme­nt, par exemple lors du renouvelle­ment du coup de pouce ? Considéran­t la manière choisie par le gouverneme­nt Couillard, la question se pose. Les partis devraient promettre d’abolir le type d’aide improvisé pour le remplacer par un « programme normé ».

Entre-temps, les journalist­es et chroniqueu­rs des médias aidés ne se mueront pas pour autant en marionnett­es du pouvoir. J’ai confiance en eux, en leur engagement profond à l’égard de la déontologi­e de leur métier.

Je ne suis donc pas d’accord sur ce point avec le propriétai­re de l’entreprise de presse pour laquelle je travaille. Je sais très bien qu’il ne m’en tiendra pas rigueur. Car nous avons une liberté d’opinion exemplaire en ces pages et au Québec.

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La ministre Dominique Anglade aurait dû procéder autrement pour aider les quotidiens, mais je ne crains pas que les journalist­es deviennent pour autant des marionnett­es du pouvoir.

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