Lac-Mégantic : les procès ne consolent pas
Il est rare qu’une décision de justice nous laisse aussi ambivalents.
D’une part, on reste avec l’impression que personne ne paie pour l’inacceptable série de négligences ayant mené à cette effroyable tragédie. D’autre part, on ne peut s’empêcher de se sentir soulagé pour ces trois hommes sur qui pesait l’impitoyable fardeau d’assumer seuls la responsabilité de quarante-sept vies détruites, d’un centre-ville anéanti et de centaines de deuils.
Dans tous les cas, il importe de lever notre chapeau à ces 14 concitoyens anonymes qui, en notre nom, ont pris connaissance d’une preuve complexe de manière très studieuse, au point où les deux substituts regrettaient de ne pouvoir participer aux délibérations de leurs 12 collègues. Leur verdict fut pénible à obtenir et il faut leur exprimer notre reconnaissance.
Demeure que, pour plein de raisons qui ne reposent pas que sur leur décision, on reste avec l’impression que les Méganticois n’ont pas obtenu justice.
IMPRESSIONNANTE DIGNITÉ
Ne les oublions jamais, ces femmes et ces hommes marqués à vie et qui ont su faire preuve, au cours des procédures, d’une impressionnante dignité. Depuis bientôt cinq ans, ils nous servent d’exemple.
Dans les pages du Journal d’hier, les paroles de Jean Clusiault, père de Kathy emportée lors de la tragédie, qui dit ne nourrir aucune rancune, faisaient du bien à l’âme. La sérénité libre de tout parti-pris du survivant Jean Paradis forçait l’admiration. Tout comme la lucidité de Christian Lafontaine, qui a également vu la mort de près, mais qui rappelait qu’un verdict de culpabilité ne ramènerait pas les victimes.
On comprend aisément que les gens de Lac-Mégantic ne l’entendent pas tous ainsi. On a envie de donner raison au patriarche Raymond Lafontaine, quatre fois endeuillé, qui se demande comment trois personnes ayant failli à leur tâche de prévoyance peuvent en ressortir blanchies. Les recours civils apporteront peut-être des réponses.
Souhaitons simplement qu’à l’horreur de ce drame et à l’attente de ce procès ne succèdent pas les affres de la division pour les Méganticois.
GRANDS ABSENTS
Demeure qu’il reste de grands absents à la liste des acteurs qui devraient faire face à leurs responsabilités. À commencer par le gouvernement fédéral, qui n’a cessé de restreindre la réglementation dans un pays où le système ferroviaire fait figure de colonne vertébrale. Des actions se font encore attendre.
Rail Word, l’ancien détenteur de la Montreal, Maine and Atlantic, ainsi que son PDG Edward Burkhardt – toujours en place – s’en tirent à bon compte. C’est toute l’industrie qui entretient mal son réseau et qui force ses employés à travailler dans des conditions dangereuses pour eux comme pour nous. D’autres incidents sont survenus pour le rappeler.
RESPONSABILITÉ COLLECTIVE
Nous avons une responsabilité collective envers les Méganticois qui continuent d’être réveillés la nuit par le sifflet du train, comme la mairesse Julie Morin avait raison de le rappeler.
Lac-Mégantic n’est pas la seule communauté québécoise à être traversée par une ligne de chemin de fer, mais il n’y a que là-bas que chaque passage de convoi évoque de si pénibles souvenirs.
Trop souvent, les procès ne consolent pas et la construction d’une voie de contournement ne ramènera certes pas les morts.
Nous devons néanmoins aux femmes et aux hommes de Lac-Mégantic l’expression de cette plus élémentaire solidarité.