Le Journal de Montreal

Pour un certain élitisme scolaire

Sociologue, auteur et chroniqueu­r

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ Blogueur au Journal mathieu.bock-cote@quebecorme­dia.com @mbockcote

Le dossier du Journal sur le mauvais sort réservé aux surdoués à l’école en dit beaucoup sur certains travers de la culture québécoise.

On veut croire qu’ils n’ont pas de besoins particulie­rs. On fait presque comme si leur intelligen­ce était un défaut : elle fracture l’illusion égalitaris­te à laquelle le milieu de l’éducation tient beaucoup. On refuse de croire à la diversité des talents.

INTELLIGEN­CE

Si des enfants sont plus doués que d’autres, on l’explique seulement par leurs origines sociales. Tous les enfants seraient également intelligen­ts : c’est seulement que certains auraient profité d’un milieu avantageux pour cultiver leurs talents, et d’autres non.

Un certain égalitaris­me pousse à couper tout ce qui dépasse. On veut bien qu’il y ait une élite sportive ou artistique, mais certaineme­nt pas une élite intellectu­elle.

On le constate au quotidien, d’ailleurs. Celui qui s’exprime avec trop d’aisance en français et qui ne s’interdit pas l’usage de mots auxquels nous ne sommes pas habitués sera accusé de snobisme.

Celui qui se permet quelques références philosophi­ques ou historique­s dans la vie publique sera présenté comme un pelleteur de nuages seulement bon pour inspirer les moqueries.

Faut-il rappeler qu’à la radio comme à la télévision, on ne trouve aucune émission exigeante et de qualité consacrée aux livres et aux grands débats de société ?

Il faudrait avoir le courage d’un certain élitisme scolaire. Non pas pour séparer les plus doués de l’ensemble de la société, mais pour leur permettre de développer leur plein potentiel.

Pourquoi faudrait-il s’en vouloir de créer des classes de douance pour ceux qui en sont capables ?

Les parents sont à la recherche de cette culture de l’excellence scolaire, ce qui les pousse vers l’école privée, où ils croient trouver un certain encadremen­t pour leurs enfants.

Mais on se raconte des histoires quand on s’imagine que le privé est le gardien d’une définition substantie­lle de la culture. Lui aussi a cédé, très souvent, à la négligence culturelle qu’il croit compenser par la surdose technologi­que.

À quoi pourrait ressembler une politique de l’élitisme scolaire ? Fondamenta­lement, elle devrait chercher à identifier les jeunes les plus doués, quel que soit leur milieu d’origine. Elle devrait même faire un effort de plus vers les milieux défavorisé­s pour repérer le talent brut qui n’a pas été exploité. Il s’agirait ensuite d’élaborer un programme permettant leur plein épanouisse­ment.

Il faut savoir aussi quelle idée de l’excellence on valorise. Elle ne devrait pas relever seulement de l’obsession mathématiq­ue et scientifiq­ue.

CULTURE

Le mauvais sort réservé à la littératur­e, à l’histoire et plus largement aux humanités est quasi criminel. Une élite de qualité est une élite cultivée.

Évidemment, cela ne veut pas dire qu’il faut accorder aux surdoués un monopole sur la culture. Cela veut encore moins dire qu’ils ont le monopole de l’intelligen­ce. Tout le monde a droit à une éducation de qualité.

Cela veut seulement dire qu’on donne à ceux qui peuvent en faire plus l’occasion d’en faire plus.

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Un certain égalitaris­me pousse à couper tout ce qui dépasse.

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