Charest, « grand bâtisseur » ?
En fin de compte, Jean Charest fut peut-être un « grand bâtisseur ».
La question se pose alors qu’Hydro-Québec a gagné le plus important appel d’offres aux États-Unis de son histoire.
« Grand bâtisseur » : on s’est beaucoup moqué de l’expression dont le parti avait affublé son chef en 2009, alors qu’il était encore en exercice et que le chantier de 6,5 milliards de dollars venait d’être ouvert.
Dans le Globe and Mail, Konrad Yakabuski notait que le surnom « avait quelque chose de Kim Jongil-esque », en référence à l’ancien dictateur nord-coréen.
Au conseil général du PLQ de mai 2009, le ministre Laurent Lessard avait, dans son sabir inimitable, ajouté un brin d’humour involontaire : « C’est pas besoin que tout le monde soit mort pour leur donner une statue. Parfois, il faut être capable de dire, “Hey ! Au moment où tu es dans le monde... international qu’on vit, tu es en train de changer quelque chose”. »
Mémorable.
PARI REMPORTÉ ?
Soyons sérieux. Le projet de La Romaine était un pari. L’appel d’offres « historique » qu’Hydro-Québec vient de remporter au Massachusetts conduira nombre de libéraux de l’ère Charest – 20 sur 33 ministres du gouvernement – à conclure que celui-ci a été remporté et que leur ancien chef méritait pleinement son qualificatif de visionnaire.
Pensez-y : 10 milliards de revenu (et non de profit) en 20 ans ! Au minimum, certifie le patron d’Hydro, Éric Martel, entre 250 à 300 millions annuellement en dividendes supplémentaires dans les coffres de l’État.
Moi qui « aime Hydro », qui crains la « spirale de la mort » que pourrait déclencher une baisse du coût des panneaux solaires, j’ai tendance à me réjouir.
Comme à peu près tout le monde en fait. « Une excellente nouvelle pour #HydroQuébec et son actionnaire le peuple québécois », a écrit Jean-François Lisée.
Même enthousiasme chez François Legault, qui en a profité pour réactiver sa promesse d’une baie James du XXIe siècle : « De moins en moins de surplus, de plus en plus d’intérêt pour un nouveau barrage au cours des 10 prochaines années. »
DOUTES
Mais avant de conclure à une réelle bonne affaire, de nombreuses variables devraient être considérées.
D’abord l’entente finale n’est pas signée. Elle le serait, dit-on, au mois de mars. Le New Hampshire doit accepter qu’une ligne de transport de 1100 mégawatts traverse son territoire.
Pour avoir vu de mes yeux nombres affiches « Hydro-Québec va-t’en ! » – en français ! – dans l’État du « Live Free or Die », je doute que ça passe comme une lettre à la poste.
Évidemment, depuis que le partenaire américain d’Hydro, Eversource, a dû promettre l’enfouissement de quelque 100 km de la ligne – en refilant la facture à Hydro ensuite –, la résistance écologiste semble avoir diminué.
Après s’y être opposé pendant des années, le gouvernement Couillard a aussi « suggéré » à Hydro d’enfouir environ 18 km de fil dans le parc du mont Hereford en Estrie, au Québec. Cela a pratiquement enterré la résistance écologiste.
LE PRIX
Avec tous ces coûts supplémentaires, le projet est-il encore rentable ? Difficile de répondre à la question compte tenu du secret entourant le prix par kilowattheure concédé aux Américains. Au-dessus de 3 cents, le projet est rentable, a soutenu Éric Martel. Ce dont plusieurs doutent. Peu après la mise en chantier de La Romaine, on nous avertissait : le gaz de schiste avait transformé durablement la donne énergétique aux États-Unis en faisant s’effondrer les prix de production de l’électricité. Ce qui rendait l’exportation rentable pratiquement illusoire.
Que l’on soit à se demander si l’expression « grand bâtisseur » avait, rétrospectivement, un fondement est en soi rassurant. Surtout que d’autres appels d’offres américains s’en viennent et que l’Ontario pourrait être intéressé par notre électricité.
De là à se relancer dans la construction de grands barrages comme le prône M. Legault, il y a toutefois une marge.