Le Journal de Montreal

« J’ai survécu et j’ai décidé de réaliser mon rêve » – Une victime de viol

Victime d’une agression sexuelle d’une violence inimaginab­le il y a un peu plus de deux ans à Montréal, une jeune étudiante a tellement eu peur de mourir qu’elle a tout abandonné pour entamer le tour du monde de ses rêves.

- FRÉDÉRIQUE GIGUÈRE

« Toute ma vie, j’ai rêvé de voyager et de vivre de nouvelles aventures constammen­t, a confié Stella (nom fictif), aujourd’hui âgée de 25 ans. Mon agression m’a ramenée à ce rêve. J’ai failli mourir cette nuit-là. Il m’a violé pendant une heure, et pendant ce temps je ne savais pas s’il allait me tuer lorsqu’il aurait fini. J’ai survécu et j’ai décidé de réaliser mon rêve. »

Originaire de la Russie, la jeune femme était venue étudier quelques mois dans une université de la ville afin de peaufiner son anglais et son français. Ce qui devait être l’une des plus enrichissa­ntes expérience­s de sa vie s’est toutefois transformé en véritable cauchemar dans la nuit du 4 novembre 2016. Une ville sécuritair­e Comme des milliers d’autres étudiantes de son âge, Stella a passé une soirée avec des amis dans un bar du Plateau ce soir-là. Elle a bu une seule bière et a quitté l’établissem­ent vers 3 h pour rentrer chez elle. Arrivée à Montréal depuis environ deux mois, tout le monde autour d’elle avait vanté la métropole. Ses amis et ses enseignant­s insistaien­t sur le fait qu’il s’agissait d’une grande ville très sécuritair­e où les crimes gratuits en pleine rue étaient plutôt rares.

Dans l’espoir de sauver quelques dollars, l’étudiante a donc préféré retourner à la maison à pied plutôt que de prendre un taxi.

Peu de temps après, alors qu’elle marchait sur la rue d’Iberville, non loin du boulevard Saint-Joseph Est, un pur inconnu s’est approché d’elle. Il l’a frappée au visage et dans le dos avec son coude.

« Je vais te violer et te tuer », lui a-t-il dit, avant de la traîner de force jusqu’à l’arrière d’un concession­naire automobile, à l’abri des regards.

« C’était comme dans un film, raconte-t-elle. Mon esprit s’est mis à fonctionne­r lentement, comme si c’était en train d’arriver à quelqu’un d’autre. Plutôt que de pleurer, je tentais de penser à comment j’allais me sortir de cette situation vivante. J’ai tenté de crier, mais il me frappait

– STELLA, VICTIME DE VIOL

encore plus violemment. Alors j’ai cessé de crier. »

GELER LA DOULEUR

En plus d’avoir le nez cassé, elle a subi des blessures à l’oeil, aux mains, aux doigts, aux lèvres, aux genoux, au dos, au cou et à l’arcade sourcilièr­e lors de l’attaque.

Après son viol, Stella a tenté d’anesthésie­r son mal avec des médicament­s.

« Je ne voulais pas le laisser faire du mal à mon esprit, se souvient-elle. C’était primordial pour moi d’être forte et de ne pas me laisser tomber dans la dépression. »

L’agression est survenue dans la nuit du jeudi au vendredi. Le lundi suivant, elle était de retour en classe.

« Je portais un capuchon, des lunettes et beaucoup de maquillage pour camoufler les blessures à mon visage », précise-t-elle.

Sans surprise, la réalité a rapidement rattrapé Stella. Rien ne la retenait à Montréal et elle détestait désormais la ville.

« La vie que je chérissais autrefois, celle d’avoir un emploi stable, une maison et une famille ne me semblait plus alléchante, racontet-elle. Pour la première fois de ma vie, j’ai décidé de me laisser aller et de réaliser mon rêve, celui de faire le tour du monde. »

« IL M’A VIOLÉE PENDANT UNE HEURE, ET PENDANT CE TEMPS JE NE SAVAIS PAS S’IL ALLAIT ME TUER LORSQU’IL AURAIT FINI. J’AI SURVÉCU ET J’AI DÉCIDÉ DE RÉALISER MON RÊVE »

DIFFICILE DE SE CONFIER

Ainsi, quatre mois après son agression, elle a quitté Montréal. Son VISA d’étudiante allait expirer et, de toute façon, elle n’avait plus d’intérêt pour cette ville, celle qui l’avait brisée. Craignant de souffrir encore plus, elle a tout fait pour cacher ce qui lui était arrivé à ses proches. « Encore aujourd’hui, c’est inconcevab­le pour moi de raconter mon agression à mes parents, indique-t-elle. Ils souffrirai­ent encore plus que moi. C’est toujours difficile de savoir que les gens que tu aimes ont mal. »

Stella, qui avait un bon cercle d’amis, dési-

rait plus que jamais se retrouver seule. Prendre le temps de réfléchir à comment elle pourrait un jour retrouver ce qui lui a été arraché dans la cour arrière d’un concession­naire automobile par un homme visiblemen­t dérangé.

Son projet d’étudier à Montréal lui avait coûté presque toutes ses économies, mais elle rêvait à tout prix de découvrir le monde.

« J’ai donc utilisé les milles que j’avais accumulés pour m’acheter un billet aller simple vers Cuba, et c’est comme ça que mon aventure a commencé. »

Depuis, elle a notamment visité l’Équateur, le Pérou, la Bolivie, le Paraguay, l’Argentine et le Chili. Stella travaille sporadique­ment dans les villes qu’elle visite afin de continuer à voyager.

Elle se fout complèteme­nt d’où elle va dormir et préfère planifier sa vie une journée à la fois.

« Aujourd’hui, je peux dormir dans une tente sur le terrain d’une station d’essence, et demain dans une villa dans les Bahamas, dit-elle. Je saute sur les opportunit­és qui s’offrent à moi. »

JAMAIS SEULE

Son agression l’a toutefois rendue très vigilante et elle en ressent les effets quotidienn­ement.

D’abord, elle ne voyage jamais seule. Stella fait toujours en sorte de se créer un petit groupe d’amis qui pourra l’accompagne­r à sa prochaine destinatio­n. La jeune femme évite également les grandes villes le plus possible. Lorsqu’elle les visite, elle s’assure d’être accompagné­e d’un groupe et préfère retourner rapidement dans les villages avoisinant­s.

La globe-trotteuse a aussi parfois des flash-back de coup de poing au visage et elle évite de se retrouver seule avec des hommes qu’elle connaît peu.

Or, plutôt que de se renfermer sur ellemême et de se mettre à détester la race humaine, Stella a plutôt décidé que sa guérison allait se faire par la gentilless­e.

« J’aime les gens et je m’efforce chaque jour d’être une bonne personne, dit-elle. Il n’y a rien au monde qui justifie de faire du mal à quelqu’un. Nous sommes tous des êtres fragiles. C’est la chose la plus facile au monde que de blesser quelqu’un. C’est beaucoup plus difficile d’apprendre à aimer les gens et à vivre avec leurs défauts. Cet homme a brisé mon corps, mais il n’a pas atteint mon âme. »

DÉLINQUANT DANGEREUX

L’agresseur de Sella, un homme de 28 ans, détient un lourd passé criminel. François Dulude, qui est détenu depuis son arrestatio­n, a plaidé coupable aux accusation­s qui pesaient contre lui et a admis avoir fait subir un véritable calvaire à Stella cette nuit-là.

Des démarches sont d’ailleurs entreprise­s par le procureur de la Couronne afin de le faire déclarer délinquant dangereux. La décision sera rendue dans quelques semaines.

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