Columbine a changé sa vie
Résidant à quelques pas de l’école secondaire Columbine le jour de la tuerie, en 1999, le Dr Paul Poirier a eu si peur pour sa famille qu’il a décidé de quitter les États-Unis. Cet événement a chamboulé sa vie.
Le Dr Paul Poirier, cardiologue à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec comprend mieux que bien des gens au Québec l’angoisse qu’ont vécue les parents des étudiants de l’école de Parkland, en Floride, le 14 février. Il s’est lui-même retrouvé aux premières loges d’un drame similaire, en 1999, le jour où deux adolescents ont assassiné 13 personnes à l’école secondaire Columbine, située à proximité de la résidence où il vivait avec sa femme et leurs quatre jeunes enfants.
« Encore une autre tuerie », s’est-il dit après le massacre de Parkland. Il n’a pas été surpris. « La société américaine est malade, ajoute-t-il. C’est le Far West. »
Les évènements de Columbine lui ont inspiré une telle peur pour ses enfants qu’ils l’ont amené à revenir au Québec.
En 1998, le Dr Paul Poirier, natif de Carleton, en Gaspésie, est cardiologue et veut se spécialiser dans le diabète et le coeur. Pour obtenir cette formation, il décide, à 35 ans, de s’exiler aux États-Unis et opte pour l’hôpital Health Science Center situé à Denver. Il vend sa maison au Québec et part s’installer avec sa femme et leurs quatre enfants à Littleton, une banlieue tranquille et sécuritaire de la capitale du Colorado.
La population est jeune et il y fait soleil 300 jours par an. La résidence qu’ils ont louée se trouve près de l’école Columbine. Le couple amène ses enfants jouer dans le parc et près du petit lac qui se trouve à proximité. Littleton offre un cadre de vie familiale formidable, et le Dr Paul Poirier est comblé à l’hôpital où il suit sa formation et pratique la médecine. Il est persuadé qu’il est installé à demeure aux États-Unis. Jusqu’au 20 avril 1999, jour où il a perdu ses illusions.
ET SOUDAIN LE CARNAGE
Ce matin-là, deux adolescents pénètrent dans l’école Columbine, tout près de chez lui, et tuent de sang-froid 12 étudiants et un professeur. Au même moment, Paul Poirier se trouve dans son hôpital. Soudain, un code spécial rappelle tout le personnel médical en raison d’un grave évènement. Puis, on leur apprend qu’une tuerie vient de se produire dans une école secondaire et que les ambulances amènent des victimes. Tous les anesthésistes et les chirurgiens sont réclamés aux blocs opératoires. C’est l’affolement, mais en même temps, se rappelle-t-il, tout est très structuré et organisé pour faire face à la situation. Entre-temps, il est contacté par sa femme qui se trouve à la maison avec leurs deux plus jeunes et qui suit les évènements à la télé.
« Elle m’a appelé, extrêmement inquiète, pour me dire que les policiers empêchaient les parents d’aller chercher les enfants à l’école primaire parce qu’ils craignaient qu’un tireur s’y soit dirigé, raconte-t-il. La première chose qui m’est immédiatement venue à l’esprit, c’est qu’on va quitter les États-Unis. »
Lors de la fusillade, ses deux plus vieux, alors âgés de 6 et 5 ans, se trouvent à l’école primaire Jefferson County School située à moins de 10 minutes de marche de celle de Columbine. Alertée, la direction a d’abord fait cacher les écoliers sous leur pupitre, puis les a amenés et enfermés dans le gymnase sans fenêtres. Ce n’est que vers 16 h que sa femme a pu aller les chercher.
Finalement, comme cardiologue, Paul Poirier ne peut rien faire à l’hôpital, sinon que d’attendre, atterré et impuissant, dans l’angoisse de savoir si ses propres enfants sont à l’abri du danger. Dans le secteur où il habite, les sirènes des policiers, des ambulanciers et des pompiers hurlent toujours quand il arrive chez lui.
« ON RETOURNE VIVRE AU QUÉBEC »
Le soir même, le couple, qui est complètement à l’envers, se pose déjà la question : « quand retourne-t-on au Québec ? »
Le lendemain, son voisin, un Texan qui possède huit armes à feu dans sa maison, lui fait part de sa solution. « On n’a qu’à armer les professeurs. Ça n’arrivera plus. » La même réaction que Donald Trump a eue après le carnage de la Floride et que la National Rifle Association (NRA) après l’horrible massacre de très jeunes écoliers dans l’école Sandy Hook, au Connecticut, en 2012. « Ce n’est pas la course au désarmement, mais à l’armement », déplore Paul Poirier.
Quand il a fait part à ses collègues de ses intentions de retourner vivre au Canada, certains ont tenté de le dissuader. « Ça va passer, tu devrais rester, ça ne se reproduira plus… » Comme si tuer 17 personnes était un fait divers. D’ailleurs, peu de temps après la tuerie de Columbine, la NRA tenait un congrès à Denver, présidé par l’acteur Charlton Heston. Il en est encore révolté aujourd’hui. « C’est dégueulasse… », dit-il.
Leur idée était faite. « On s’est dit qu’on ne voulait plus vivre dans une société où les gens qui vont acheter des médicaments sont contrôlés, mais peuvent facilement acquérir des armes et abattre de purs innocents. Après la tuerie, nous sommes devenus paranoïaques. Tu regardes constamment à l’extérieur quand les enfants jouent dehors. Lorsqu’ils étaient invités à une fête d’amis, on leur demandait ce qu’ils devaient apporter comme cadeau et s’il y avait des armes dans la maison. Je vais me souvenir toute ma vie de Columbine. »
« Si quelque chose change aux États-Unis en parlant du culte que les Américains vouent à leurs armes à feu, espère-t-il, ce sera grâce au mouvement des jeunes actuellement en marche. Ils sont plus fins que nous, les vieux. Je le constate dans le domaine de la prévention en santé. »
En décembre 1999, sa famille et lui sont revenus vivre au Québec. Il exerce depuis à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec. En raison de ses compétences, il a reçu de nombreuses offres afin de retourner pratiquer aux États-Unis.
Pas question. Il y a trop d’armes en circulation. Surtout que les tueries comme Columbine se sont multipliées depuis 10 ans. Mais il pointe que le Québec n’est pas si blanc : la Polytechnique, le Collège Dawson, la grande Mosquée de Québec. Un tragique rappel, comme l’a été récemment Parkland.
Ses enfants étaient très jeunes lors de la tuerie. Même les plus âgés ne s’en rappellent plus, n’ont gardé aucune séquelle et n’en parlent pas.
Mais Paul Poirier n’a jamais oublié.