Prison à domicile
Luck Mervil porte bien son prénom. Il a la chance de son côté car il évite la prison. Ou plutôt, sa résidence devient sa prison et sa chambre à coucher sa cellule, on le suppose.
Celui qui a exploité sexuellement une mineure et qui a eu avec elle des relations sexuelles non consenties durant des années, cet homme-là, jadis chanteur admiré de ses fans, est un triste sire.
Il ne regrette rien. La preuve ? Dans une vidéo, il offre ses excuses « à la personne qui a porté plainte ». Comprenons qu’il refuse d’attribuer à cette femme le titre de « victime ». Il se répand plutôt en excuses à ses proches, aux Québécois et aux Haïtiens dont il précise qu’il était pour eux un exemple de réussite sociale. Il a l’outrecuidance et le cynisme de s’excuser également à ses ex-conjointes dont il tait le nombre.
FAUTE DES MÉDIAS
Bien sûr, il déclare la guerre aux médias, qui ont fait, à ses yeux, un sale boulot en « manquant de rigueur ». Qu’il me permette donc de corriger le dérapage de mes confrères en affirmant que son arrogance, sa brutalité et sa suffisance telles qu’elles se constatent dans ses déclarations lui font perdre à jamais sa future réputation de repenti.
Non, il n’a tué personne. Il n’a fait qu’exploiter une jeune fille qu’il a déflorée et soumise à ses pulsions sexuelles. Au nom de la rigueur, il faudrait que j’ajoute que je le soupçonne de croire qu’il lui faisait un cadeau en la faisant bénéficier de sa virilité de star adulée. En d’autres termes, plutôt que de le dénoncer, peutêtre estime-t-il que sa victime devrait en être flattée et éprouvée pour lui une éternelle reconnaissance.
Quant à la décision de le condamner a six mois de prison à domicile, une recommandation des avocats mais qui choque le public, l’on peut penser que la juge participe avec les procureurs au désengorgement des prisons, qui débordent de condamnés. Faudrait-il donc féliciter ces professionnels du système judiciaire, qui se transforment en gestionnaires efficaces en économisant les fonds publics ?
L’esprit qui préside aux condamnations est marqué par une réticence à punir. La réhabilitation, un mot sacré, demeure toujours l’objectif théorique de notre système punitif. Pourtant les condamnés deviennent souvent des récidivistes.
MALAISE
Encore une fois, un jugement de la cour dans un cas d’agression sexuelle nous plonge dans le malaise. Hélas, les tribunaux ont trop souvent été incapables de convaincre les citoyens que la justice pouvait être rendue en matière d’accusations de nature sexuelle. Comme si le droit n’arrivait pas à cerner la complexité secrète de la sexualité humaine. Comme si les faits, sans lesquels il est impossible d’exercer la justice, échappent à notre capacité d’objectiver et de trancher.
Qu’est-ce que le consentement ? À part les cas de viols avec violence, le droit peut-il appréhender toutes les nuances du désir ? Faire la preuve semble impossible trop souvent. Or si tant de femmes courageuses dénoncent désormais leurs agresseurs, ne faut-il pas que la justice soit à la hauteur de leurs espoirs ?