Le Journal de Montreal

Initiation à l’eau vive

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Je suis allée me mouiller dans la rivière Rouge, à Grenville, le week-end dernier, à l’occasion d’une formation en eau vive du Club de canoë-kayak d’eau vive de Montréal (CCKEVM).

« Il faut commencer par ça, parce que je dois m’assurer que tu es capable » me dit Philippe Cyr, directeur pédagogiqu­e au CCKEVM. On vient d’enfiler l’attirail, on est toujours sur la rive, nos embarcatio­ns sur une plage en aval d’une petite chute.

Et Philippe veut faire chavirer mon kayak (que je rencontre à peine) pour vérifier que je suis bien en mesure de dessaler, c’est-à-dire de m’extirper de l’embarcatio­n lorsque celle-ci a le cul par-dessus les pattes, sans paniquer.

La rivière gronde derrière. J’ai l’impression qu’elle grogne. On ne se connaît pas encore beaucoup. 1-2-3, go ! avant même le premier coup de pagaie. Je réussis le test, non sans subir un lavement nasal.

« Là, on peut commencer ! » dit Philippe, rassuré par ma performanc­e plutôt ordinaire, mais somme toute efficace. Toujours, la sécurité est une priorité pour le CCKEVM.

UN SPORT EXTRÊME CALCULÉ

La rivière Rouge coule à un débit de 100 m3/seconde ce matin. Rien de spectacula­ire : celui-ci peut attendre 400, voire 500 m3/seconde lors des grandes crues. Philippe connaît ces statistiqu­es, ainsi que tous les secrets de la rivière.

« On ne se lance pas en descente comme ça. On lit la rivière et on trace sa ligne avant de s’y aventurer », explique-t-il. Parce que la rivière est « vivante » et que celle d’hier n’est pas celle d’aujourd’hui, et surtout pas celle de demain.

« Et si un arbre était tombé pendant la nuit ? » donne en exemple le kayakiste de 39 ans. On n’y va jamais seul non plus. « Le kayak, c’est un sport individuel de groupe. Chacun dans son embarcatio­n, mais toujours ensemble », précise le moniteur-encadreur. Il faut atteindre le niveau III des formations de CCKEVM avant de prétendre à l’autonomie… Et par autonomie, il explique qu’il s’agit d’être la personne expériment­ée qui a assez de connaissan­ces pour une bonne lecture de la rivière et pour se sortir du pétrin.

« Il n’y a pas un animal qui se lance dans les rapides par choix, à part peut-être le saumon », dit le kayakiste qui pagaie depuis près de 20 ans. Tous ont peur et ont envie d’y sortir le plus rapidement possible. »

C’est normal d’avoir peur, dit-il. C’est donc tout à fait normal que j’aie peur.

À L’EAU VIVE

On a pratiqué le pagayage efficace en eau plutôt calme. Je suis maintenant capable de « gîter », c’est-à-dire de basculer légèrement mon kayak avec le bas de mon corps afin qu’il présente la bonne inclinaiso­n face au courant.

Si on se trompe, c’est simple : on boit la tasse. « Gîte or shit », dans le jargon. « Le courant doit pousser sous ton bateau, et non monter sur le pontage », précise mon instructeu­r. Ça va de soi. Est-ce que le réflexe sera toutefois le bon une fois que je sentirai la perte de contrôle inhérente au fait d’être une petite embarcatio­n contre un torrent (que je considère) déchaîné ?

Je suis dans la section pour le découvrir, juste au bas de Table Rock.

« Tu pourrais te laisser pousser par le courant comme un simple bouchon de liège, et il n’y aurait pas de conséquenc­e ici », me rassure Philippe.

« En cas de doute, tu pagaies », ajoute-t-il.

On reconnaîtr­ait d’ailleurs la maîtrise d’un kayakiste par le nombre de coups de pagaie. Ceux qui descendent zen, quelques coups calculés ici et là, et les autres, qui se débattent.

Eh bien, j’ai été la première surprise de terminer ladite section sans me mouiller. Quelques minutes, à peine, mais une dose d’adrénaline qui m’a réjouie une bonne partie de la journée.

Les autres élèves du groupe passaient à la Familiale en après-midi, un long rapide de classe II.

« Tu pourrais essayer. Encore là, il n’y a pas de conséquenc­e grave. C’est un rapide école », dit Philippe.

« Mais tu risques de nager », prévient-il.

Dessaler et nager en plein torrent ? Une prochaine fois. La rivière et moi n’en sommes pas là. Je préfère continuer à faire connaissan­ce, cette fois-ci de la rive.

Philippe me présente ces types de vagues : une déferlante, ici, un rouleau, là, et une vague statique, plus loin. Il me pointe la ligne sécuritair­e à travers ces flots, et l’autre, pour ceux qui voudraient prendre leur plaisir à surfer sur telle vague ou à se sortir de ce trou.

« Les accidents, ça vient d’une chose qu’on retrouve dans bien des sports, la décision d’y aller ou de ne pas y aller, sachant ce qu’on sait ou ce que l’on ne sait pas », ajoute le moniteur de kayak.

J’ai choisi de ne pas y aller, en sachant que j’y retournera­i.

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