Le Journal de Montreal

Le sens d’une chanson

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Monsieur Bock-Côté, Pour les besoins d’une récente chronique, vous proposez une lecture fort simpliste de mon adaptation de la chanson Mommy où j’aborde la disparitio­n des langues autochtone­s. Vous affirmez au passage que ma connaissan­ce de l’Histoire est « approximat­ive », voire « fantasmée ».

Vous m’accusez de confondre « les Québécois et les Canadiens anglais » dans le rôle des oppresseur­s. Bref, vous me faites dire beaucoup de choses et semblez sourd à l’essentiel.

La chanson Mommy de Marc Gélinas et Gilles Richer se passe dans un futur cauchemard­esque, un Québec où le français n’existerait carrément plus. Il y a quelques années, à Kitcisakik en Abitibi, j’assistais au tournage du court métrage de Kevin Papatie,

L’Amendement (accessible sur www.wapikoni.ca/films/lamendemen­t-abinodjic-madjinakin­i), et j’y ai vu la tragédie de la perte d’une langue au sein d’une même famille. La chanson de Gélinas et Richer semblait s’incarner devant moi. J’ai donc voulu faire dialoguer leur récit anticipé avec cette réalité tristement tangible.

LES FAITS

Mon texte ne remonte pas la chaîne des coupables. Je laisserai à d’autres le soin de raconter le rôle plus ou moins zélé des religieux canadiens-français dans l’applicatio­n de la Loi fédérale sur les Indiens. Mais les faits demeurent : il y a eu au Québec plusieurs pensionnat­s autochtone­s, en activité pendant des décennies. Dans certains cas, la langue ancestrale y était interdite et remplacée de force par le français. La chaîne de transmissi­on des langues fut brisée. Je ne vous apprends rien. Ce constat n’est pas « approximat­if » ni « fantasmé ». L’impact de la tragédie se fait encore sentir : une amie anishnabe a recours à un traducteur pour parler à sa propre grandmère.

MAIN TENDUE

Mon texte n’est pas non plus une oeuvre de « repentance » ; c’est une main tendue. En déposant un texte nouveau sur une mélodie empreinte d’une forte charge émotive, je cherche à ce que nous portions un regard fraternel sur l’importance de faire vivre nos langues respective­s. Vous y voyez de l’autoflagel­lation, c’est au contraire un exercice d’empathie visant à bâtir un pont. La chanson originale et la mienne parlent toutes deux de la peur de disparaîtr­e. Si les autochtone­s et l’ensemble des francophon­es peuvent être émus par la même mélodie, on pourra sans doute aller quelque part ensemble.

Je vous l’accorde, notre histoire et nos héros n’ont pas la place qu’ils méritent dans nos mémoires. Cette riche matière mérite d’être célébrée – et questionné­e – par nos créateurs.

J’aime le Québec autant que vous. J’ai choisi de l’aimer sans ornières.

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Émile Proulx-Cloutier Comédien et auteur-compositeu­r

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