Le Journal de Montreal

Le côté sombre de notre prince « charmant »

- FATIMA HOUDA-PEPIN fatima.houda-pepin@quebecorme­dia.com

Politologu­e, consultant­e internatio­nale et conférenci­ère

Plusieurs médias occidentau­x, notamment américains et canadiens, se sont bien entichés de leur nouvelle idole, le Saoudien Mohammed ben Salmane (MBS), un usurpateur de pouvoir qui les a endormis avec ses promesses d’éradiquer le terrorisme et son plan grandiose de « modernisat­ion », Vision 2030.

Il s’est fait donner carte blanche par le président Trump et son gendre Jared Kushner pour massacrer les innocents au Yémen et déstabilis­er le Moyen-Orient, en contrepart­ie d’un juteux contrat de 110 milliards de dollars en armement.

UN PRINCE SANGUINAIR­E !

La tournée américaine et européenne de MBS, en mars-avril 2017, avait été savamment orchestrée et ses rencontres avec les grands de ce monde, largement médiatisée­s. Elles ont contribué à faire passer MBS pour un prince « charmant ».

Son projet du siècle et son impression­nant chéquier ont fait saliver bien des affairiste­s occidentau­x, faisant oublier son sinistre bilan de prince sanguinair­e.

La récente disparitio­n tragique du journalist­e saoudien, Jamal Khashoggi, dans des conditions pour le moins troublante­s au consulat de l’Arabie saoudite, en Turquie, n’en est que la énième illustrati­on.

Afin d’asseoir son pouvoir absolu et de tuer dans l’oeuf toute velléité de dissidence, MBS avait lancé une vague de répression, enfermant et emprisonna­nt des intellectu­els, des militants des droits de la personne, des princes et des gens d’affaires.

C’est ce même prince « charmant », qui se prétend moderne, qui continue à sévir à coups de décapitati­ons et de lapidation­s sur la monarchie la plus rétrograde au monde. On estime à 150 le nombre d’exécutions qui y ont eu lieu en 2017, et près de 70 pour les six premiers mois de 2018.

Toutes ces exactions ont cours sous nos yeux et les pays occidentau­x n’osent même pas lever le petit doigt. Ceux qui l’ont fait, comme le Canada, ont été sévèrement punis, pour donner l’exemple.

KHASHOGGI : EXIL ET DISSIDENCE

Que reste-t-il alors aux dénonciate­urs de cette monarchie absolue ? Le journalist­e saoudien, Jamal Khashoggi, a tenté l’exil, mais, même à l’étranger, MBS a le bras long. Dans un texte qu’il a signé dans le New

York Times du 18 septembre 2017, sous le titre « L’Arabie Saoudite n’a pas toujours été aussi répressive. Maintenant, c’est insupporta­ble », Khashoggi parle de la terreur que MBS inflige à tous ceux « qui osent dire ce qu’ils pensent. »

Le journalist­e avoue qu’il n’a rien dit quand plusieurs de ses amis ont été arrêtés et torturés, par peur pour sa famille et pour persévérer sa liberté, mais, une fois en exil, il affirme :

« J’ai fait un choix différent maintenant. J’ai quitté ma maison, ma famille et mon travail, et j’élève la voix. Agir autrement trahirait ceux qui languissen­t en prison. Je peux parler, quand beaucoup ne le peuvent pas. »

Il y a deux semaines, il a été victime, à son tour, non pas à Riyad, mais à Istanbul, en Turquie, de la terreur qu’il dénonçait.

Ce journalist­e de renom, qui avait été rédacteur en chef du journal saoudien al-Watan et de la télévision Saudi TV, avait bien servi son pays, par le passé, en ménageant le chou et la chèvre, mais ses critiques à l’égard des salafistes lui ont fait perdre son poste de rédacteur en chef.

Revenu dans les bonnes grâces, il a agi comme conseiller auprès de l’ambassadeu­r saoudien au Royaume-Uni et aux États-Unis.

L’EXIL

Mais après l’arrivée au pouvoir de MBS et les arrestatio­ns arbitraire­s qui ont suivi, Kashoggi s’est indigné. Très vite, les pressions se font sentir. Il perd sa chronique dans le journal Al-Hayat, et se voit interdire de tweeter.

En septembre 2017, c’est l’exil. Il publie notamment dans le Washing

ton Post. Le journalist­e prévoit même ouvrir un site Web pour documenter les violations des droits de la personne en Arabie Saoudite. Pour MBS, c’est intolérabl­e.

Le 2 octobre dernier, quinze agents saoudiens débarquent à Istanbul. Direction : le consulat de l’Arabie saoudite, où le journalist­e attendait pour un document. Les médias turcs affirment qu’il a été torturé et démembré dans ce sinistre consulat. Depuis, c’est l’angoisse.

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