Le Journal de Montreal

Le démocrate doit être modeste

- ANTOINE ROBITAILLE cantoine.robitaille@quebecorme­dia.com

Lancée par le collègue de TVA Alain Laforest, la question piège « est-il plus facile de critiquer ou de gouverner ? » a semblé embêter un très court instant Geneviève Guilbault, hier, au bilan de session du gouverneme­nt Legault.

Avec aplomb, la vice-première ministre a rapidement répondu : « C’est différent, mais c’est plus agréable de gouverner ».

Puis, elle a ajouté : « Je pense que tout le monde vient en politique avec l’espoir sincère de faire avancer et d’améliorer les choses [...] et les leviers sont certaineme­nt plus intéressan­ts et plus directs quand on est dans le gouverneme­nt que dans l’opposition ».

Ces dernières années, il faut le dire, les porte-paroles de la CAQ s’en donnaient à coeur joie face au gouverneme­nt usé de Philippe Couillard et des libéraux, au pouvoir depuis 2003, à part la parenthèse Marois.

Certains jours, à la période de questions, on aurait dit des hyènes autour d’une grosse bête éventrée.

On se souvient par exemple du député de La Peltrie, Éric Caire, déchaîné, qui coupait la tête — métaphoriq­uement — aux ministres. Il a d’ailleurs admis au micro de Jonathan Trudeau à Qub, récemment : « Je pense que je me débrouilla­is pas pire [en chialage] et je vais essayer d’être aussi bon dans la décision que dans le chialage ».

L’ART EST DIFFICILE

Même si le gouverneme­nt n’est en place que depuis le 18 octobre, même si la session qui se termine a été microscopi­que (huit jours de travaux seulement), on voit que la devise « la critique est aisée, mais l’art est difficile » se vérifie.

Théoriquem­ent, tout est simple : on critique, on formule une propositio­n attrayante ; on prend le pouvoir et on applique ladite propositio­n.

En réalité, l’élu a beau avoir les « leviers » dans les mains, les utiliser, tout, dans nos « démocratie­s d’opinion », est discuté, critiqué et rediscuté constammen­t.

Pour le mieux, évidemment. Mais pour les gens au pouvoir qui s’imaginent avoir reçu un mandat et le pouvoir d’agir, de mettre en place leur programme, ça peut être déconcerta­nt. Moins « agréable », pour reprendre le mot de Guilbault.

CRITIQUES

Les trois projets de loi déposés se buteront à de multiples critiques. Certaines « aisées », mais plusieurs d’ordre scientifiq­ue. Elles méritent d’être prises en compte.

• La baisse des taxes scolaires à 10,54 ¢ par tranche de 100 $ d’évaluation foncière semble à première vue une solution d’équité. Mais les effets pervers risquent d’être nombreux, notamment celui de laisser de côté tous les locataires.

• Les nomination­s aux deux tiers des patrons de l’UPAC, de la Sûreté du Québec (SQ) et de la Direction des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP) sont sans doute une bonne idée. Mais certains estiment qu’il y aura des obstacles constituti­onnels à lever.

• Hausser l’âge légal du cannabis à 21 ans semble concorder avec les études qui estiment une plasticité du cerveau en croissance jusqu’à 24 ans, mais dans les faits, comme les départemen­ts de santé publique l’ont dénoncé, va ramener les jeunes consommate­urs vers le marché noir.

Quant au 3e lien à Québec, il faudra bien un jour que la CAQ explique pourquoi aucun expert, comme Le Journal de Québec l’a bien démontré, n’appuie cette solution. « La seule idéologie que nous avons, c’est d’être cohérents avec les engagement­s que nous avons pris », a déclaré Mme Guilbault, hier.

Pourtant, la seule « idéologie » démocratiq­ue, ce devrait être la modestie. Celle d’admettre parfois qu’on s’est trompé ; ou à tout le moins que notre position peut être améliorée.

Albert Camus l’a bien dit : « La démocratie, c’est l’exercice de la modestie. Le démocrate est modeste, il avoue une certaine part d’ignorance, il reconnaît le caractère en partie aventureux de son effort et que tout ne lui est pas donné. Et à partir de cet aveu, il reconnaît qu’il a besoin de consulter les autres pour compléter ce qu’il sait par ceux qui le savent. »

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La seule idéologie que nous avons, c’est d’être cohérents avec les engagement­s que nous avons pris, a déclaré la vice-première ministre Geneviève Guilbault, hier.

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