Le Journal de Montreal

L’amour se fout des idéologies

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J’adore le cinéma de Claude Sautet.

Le réalisateu­r de Vincent, François, Paul et les autres, de César et Rosalie et de Les choses de la vie. Rares sont les artistes qui portent — ou ont porté — un regard aussi juste sur l’amitié, l’amour, la vie. « Mes amis, mes amours, mes emmerdes », comme chantait Aznavour.

CUL PAR-DESSUS TÊTE

Les sentiments n’ont rien à voir avec le monde des idées.

Qu’est-ce que je retiens des films de Sautet, que je ne me lasse de revoir ? Deux choses.

Un : que les relations entre les hommes et les femmes sont complexes. Que les sentiments n’ont rien à voir avec le monde des idées.

Que tenter d’apposer une grille d’analyse idéologiqu­e sur l’univers fluide et mystérieux des sentiments et des désirs (comme l’ont fait ceux qui ont censuré la chanson Baby, It’s

Cold Outside) est stupide. Comme essayer de faire entrer un carré dans un cercle.

Les sentiments résisteron­t toujours aux idées. Ils seront toujours plus riches, plus complexes.

On peut être féministe et aimer un macho. Être dominateur dans la vie et aimer se faire dominer dans le lit. On peut être attiré par une personne qui représente tout ce qu’on déteste.

La nuit est plus forte que le jour. Les désirs, plus puissants que les idées. L’inconscien­t, plus profond que la volonté. L’amour est tout sauf rose. Il est gris, noir.

L’amour n’est pas une ligne droite, mais une courbe. Il est liquide, pas solide. Il nous échappe, il nous entraîne.

Les idéologues qui n’ont de cesse de vouloir encadrer l’amour, l’embrigader, l’enrôler ne connaissen­t rien à la vie.

Le désir se fout du capitalism­e, du féminisme ou du patriarcat. Il est libre. Souverain. Sauvage. Donc, dangereux. On s’y abandonne à ses risques et périls.

Bref, quand on a un coup de foudre, la tête dit souvent le contraire du coeur. Et du corps.

TOUS EN SCÈNE

Autre leçon que je tire des films du grand Sautet : la vie est un théâtre.

Dès que tu mets le pied hors de ta demeure, tu es en représenta­tion. Tu joues. Dans les films de Sautet, les bars, les restos, les troquets et les terrasses sont autant de scènes de théâtre. Tout le monde joue, tout le temps. Nous ne portons pas des vêtements, mais des costumes.

Quand Catherine Dorion porte un t-shirt ostentatoi­re au Salon bleu, elle joue un rôle.

Le rôle de « Catherine Dorion, députée de Québec solidaire et porte-parole du vrai monde ».

Selon Sautet, plus un personnage crie à tue-tête qu’il est « authentiqu­e », plus il veut nous faire croire qu’il est « naturel », plus il est factice.

Et plus ses comporteme­nts relèvent d’une posture.

LES BULLDOZERS DE LA BIEN-PENSANCE

« Plus l’univers se standardis­e, plus la singularit­é m’intéresse », disait le réalisateu­r du Coeur en hiver (un film émouvant racontant l’histoire tragique d’un homme timide et introverti perdu dans une époque exhibition­niste et impudique).

À la grande époque de Sautet (les années 1970), c’est la société de consommati­on qui « standardis­ait » le monde et gommait les différence­s. Aujourd’hui, c’est la bien-pensance. Tout le monde doit penser pareil et pencher du même bord.

Et toute idée, tout sentiment qui dépasse du « politiquem­ent correct » doit être condamné, radié, censuré.

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Une scène du film Les choses de la vie.

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