Le Journal de Montreal

« Je reprends enfin le dessus »

JEAN-FRANÇOIS BENOÎT SE REMET D’UN ACCIDENT SUBI IL Y A 20 ANS

- CAROLINE LEPAGE

DRUMMONDVI­LLE | En 1998, un étudiant qui travaillai­t à ramasser les débris durant la crise du verglas a reçu une branche recouverte de glace sur la tête. Aujourd’hui, l’homme se remet courageuse­ment de l’accident qui a brisé sa vie.

Jean-François Benoît a grandi dans une bonne famille et comptait plusieurs amis. Ses performanc­es scolaires et sportives lui laissaient entrevoir un avenir prometteur.

Mais sa vie a basculé lorsqu’il a été victime d’un accident de travail, le 20 janvier 1998, alors qu’il ramassait des branches d’arbres durant la crise du verglas, à Drummondvi­lle.

Durant l’opération, un collègue a pris l’initiative de couper une branche recouverte de glace. Cette dernière, qui devait peser des centaines de livres, est tombée sur Jean-François Benoît, qui portait un casque protecteur. Il s’est effondré et s’est retrouvé à l’urgence. Alors âgé de 19 ans, il a reçu le diagnostic des médecins : entorse cervicale.

« Ils avaient des doutes que j’avais une fracture cervicale, mais il n’y avait pas de preuves tangibles à ce moment-là », explique Jean-François Benoît, qui a soufflé récemment ses 40 bougies.

Le jeune adulte a été dédommagé par la CSST pour l’équivalent d’une dizaine de jours de travail. Mais ensuite, ses douloureux symptômes (troubles oculaires, migraines, maux de cou) ont persisté. Son médecin n’a pas attribué ses problèmes à son accident de travail. Il croyait plutôt qu’il souffrait de dépression.

TENTATIVE DE SUICIDE

Malgré tout, Jean-François Benoît a – péniblemen­t – réussi son baccalauré­at en finance. Il récoltait de bonnes notes, mais se sentait rejeté à cause des « crises d’yeux » qui l’affligeaie­nt.

« J’avais les yeux rouges et très secs, raconte le principal intéressé. Mes paupières collaient sur mes yeux. Ce n’était pas drôle ! Ça faisait mal. »

Désespéré et englué par divers problèmes de santé pour lesquels il n’obtenait aucune aide, le jeune adulte a fait une tentative de suicide, en 2001, en provoquant un accident automobile.

Il a lâché le volant, fermé les yeux et pesé sur l’accélérate­ur. Il s’est finalement retrouvé sur le capot, dans un bois. Son visage avait fracassé le pare-brise.

Hospitalis­é d’urgence, Jean-François Benoît a finalement compris que son heure n’était pas venue. Après cet événement, son père l’a invité à consulter un psychologu­e.

TROP TARD

Après avoir écouté son histoire, le psychologu­e a communiqué avec le médecin de famille de Jean-François Benoît pour qu’il vérifie si son accident de travail n’avait pas entraîné de séquelles.

« Il a été le déclencheu­r, souligne Jean-François Benoît. Quand le médecin a accepté d’investigue­r la blessure, il était rendu trop tard. J’étais hors délai, mais je l’ignorais. »

Pendant cinq ans, Jean-François Benoît a travaillé d’arrache-pied pour constituer la preuve médicale qui aurait établi le lien entre sa blessure et ses symptômes, mais en vain. Ses demandes ont toutes été déboutées.

ITINÉRANCE

Bien qu’il ait occupé de bons emplois en comptabili­té, Jean-François Benoît a traversé des périodes creuses au cours desquelles il s’est retrouvé non seulement en psychiatri­e, mais en situation d’itinérance.

« L’hiver, c’est “frette en tabarouett­e”. J’avais un char. Je pouvais dormir dedans. Je partais la chaufferet­te. »

AIDER SON PROCHAIN

Quand il travaillai­t, Jean-François Benoît économisai­t, si bien qu’il est parvenu à s’acheter une maison à Drummondvi­lle en 2013. Une maison qu’il a lui-même rénovée pour y aménager sept chambres, lesquelles sont louées à un prix abordable à des gens qui sont souvent dans la rue.

Jean-François Benoît leur offre des transports, les accompagne pour des dépannages alimentair­es, pour obtenir un chèque d’aide sociale, etc.

Même s’il doit parfois gérer des crises, réparer des bris ou subir des vols, ce quadragéna­ire sourit à la vie puisqu’il a désormais un toit sur la tête.

En attendant de décrocher un bon emploi qui lui permettra de fonder une famille, Jean-François Benoît s’instruit et développe ses talents. Il détient même des brevets pour deux inventions qu’il a réalisées.

Mais surtout, Jean-François Benoît a retrouvé sa santé, car ses symptômes découlant de l’accident dont il a été victime il y a 20 ans se sont progressiv­ement estompés.

« Je reprends le dessus », affirme-t-il fièrement.

Travailleu­r blessé durant la crise du verglas, Jean-François Benoît estime avoir perdu 15 ans et gaspillé 40 000 $ pour être dédommagé de ses séquelles, sans résultat.

Quand son médecin de famille a rouvert son dossier d’accident au début des années 2000, Jean-François Benoît a commencé à colliger l’informatio­n auprès d’une foule de spécialist­es de plusieurs hôpitaux et cliniques du Québec.

« Ç’a été une job de fou », lance le survivant en entrevue.

Malgré tout, l’accidenté n’a jamais réussi à monter un dossier qui aurait satisfait la CSST dans les délais requis. Les nombreux rapports, déplacemen­ts et expertises supplément­aires coûteux n’ont rien changé au sort du plaignant.

DIFFICILE À PROUVER

« Les symptômes étaient un peu compliqués, explique Jean-François Benoît. […] Ç’a été un long processus pour amener toutes les preuves médicales et les mettre en lien avec la blessure d’origine. »

M. Benoît compare ses démarches aux 12 travaux d’Astérix, dont l’aboutissem­ent était pratiqueme­nt impossible.

La CSST lui donne beaucoup de procédures à enclencher et respecter. « Pour le simple travailleu­r, c’est souvent très ardu de comprendre », se plaint le principal intéressé.

En 2006, l’accidenté a mandaté – à ses frais – un avocat qui proposait une entente « anodine » à l’organisati­on pour qu’elle l’entérine sans négocier.

Mais Jean-François Benoît a rejeté cette propositio­n, qui l’aurait laissé avec des miettes.

JUSQU’À LA COUR SUPRÊME

Devant l’impasse, Jean-François Benoît a lui-même intenté une requête en Cour supérieure, qu’il a perdue contre la CSST, sa compagnie d’assurances et son ex-employeur. Il leur réclamait 5 M$ en dommages et intérêts.

« La CSST a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la Loi sur les accidents de travail », peut-on lire dans le jugement.

Sa demande d’appel a également été déboutée.

Se représenta­nt toujours seul, Jean-François Benoît a présenté son dossier en Cour suprême, mais la plus haute instance au pays a refusé d’entendre sa cause.

« J’étais découragé ! » souffle l’homme, néanmoins satisfait d’avoir tout tenté pour défendre ses droits.

À ses yeux, ce n’est qu’après avoir épuisé toutes ses démarches juridiques qu’il a enfin pu amorcer un nouveau chapitre de sa vie.

« QUAND LE MÉDECIN A ACCEPTÉ D’INVESTIGUE­R LA BLESSURE, IL ÉTAIT RENDU TROP TARD » 40 000 $ et 15 ans de lutte juridique... pour rien

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PHOTO CAROLINE LEPAGE Jean-François Benoît souhaite que les délais pour recueillir les preuves médicales après un accident de travail soient prolongés. Aujourd’hui, il accueille dans sa maison des gens dans le besoin.

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