Le Journal de Montreal

Tous porteurs de tumeurs

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Des résultats surprenant­s montrent qu’en vieillissa­nt, plus de la moitié des cellules de l’oesophage accumulent des milliers de mutations dans leur ADN, sans pour autant devenir cancéreuse­s. Un autre exemple de l’importance d’adopter de saines habitudes de vie pour empêcher ces microtumeu­rs de se développer en cancer mature. L’ERREUR EST HUMAINE

Tout au long de notre existence, les cellules qui composent nos organes doivent constammen­t se renouveler pour compenser celles qui meurent ou qui deviennent non fonctionne­lles. Ce processus n’est cependant pas parfait : au cours de la copie des quelque 3 milliards de lettres de l’ADN, des erreurs (qu’on appelle mutations somatiques) surviennen­t et peuvent provoquer l’apparition de lésions ayant le potentiel d’évoluer en cancer. La présence de ces mutations fait en sorte que toutes les personnes, même celles en bonne santé, contiennen­t un grand nombre de cellules anormales, qui sont même dans certains cas parvenues à évoluer en tumeurs microscopi­ques. Par exemple, 50 % des femmes dans la quarantain­e présentent des lésions précancére­uses au niveau de leurs seins, une proportion beaucoup plus élevée que l’incidence de ce cancer dans la population (15 %). Même chose pour le cancer du pancréas : 75 % de la population présente des anomalies précancére­uses dans cet organe, alors que ce cancer ne touche que 1,4 % de la population. Les mutations spontanées qui se produisent par malchance ont donc le potentiel de devenir cancéreuse­s, mais, dans la plupart des cas, elles demeurent sous une forme occulte et inoffensiv­e. Autrement dit, même si nous sommes biologique­ment prédisposé­s au cancer, il semble que nous sommes aussi prédisposé­s à empêcher le développem­ent de ces cancers.

L’EXEMPLE DE L’OESOPHAGE

Ce concept de mutations qui ne parviennen­t pas à évoluer en cancer est bien illustré par les résultats d’une étude récemment publiée dans le prestigieu­x Science (1). Une équipe britanniqu­e menée par le Dr Inigo Martincore­na a prélevé des échantillo­ns de la paroi (épithélium) de l’oesophage auprès de 9 donneurs (20 à 75 ans) décédés de causes autres que du cancer et examiné la présence de mutations dans 74 gènes connus pour leur implicatio­n dans le développem­ent des carcinomes de cet organe. Bien qu’au microscope les tissus étaient en apparence sains et ne montraient aucun signe de cancer, les résultats de l’analyse de l’ADN sont renversant­s : chez les personnes dans la vingtaine, les cellules saines contiennen­t déjà plusieurs centaines de mutations et les personnes plus âgées en possèdent plus de 2000 par cellule ! Ces cellules mutantes se multiplien­t plus rapidement que les cellules normales, ce qui signifie qu’à l’âge mûr (50 ans et plus), plus de la moitié de la paroi de l’oesophage est formée de clones mutés, contenant plusieurs milliers de mutations dans des gènes procancére­ux.

INFLUENCE DU MODE DE VIE

Bien qu’assez rare, le cancer de l’oesophage a plus que sextuplé depuis 40 ans, et représente actuelleme­nt l’un des cancers dont la progressio­n est la plus fulgurante (2). Ceci suggère donc que des facteurs du mode de vie actuel favorisent la progressio­n des cellules mutantes qui se forment spontanéme­nt dans cet organe.

La forte hausse du nombre de personnes en surpoids est l’un des facteurs importants qui expliquent cette forte hausse de l’incidence du cancer de l’oesophage. L’obésité est souvent associée à des reflux gastro-oesophagie­ns chroniques qui favorisent le développem­ent de l’endobrachy­oesophage (oesophage de Barrett), une condition qui est associée à une augmentati­on très importante (de 30 à 60 fois) du risque d’adénocarci­nome de l’oesophage. La consommati­on abusive d’alcool (surtout les spiritueux), le tabagisme ainsi que la consommati­on de boissons très chaudes ont aussi été associés à maintes reprises à une hausse du risque du cancer de l’oesophage.

Ces observatio­ns confirment que nous sommes tous porteurs de cellules précancére­uses, mais qu’il est possible de retarder leur progressio­n en adoptant de bonnes habitudes de vie comme ne pas fumer, maintenir un poids corporel normal, manger beaucoup de végétaux et être actif physiqueme­nt. L’objectif principal de la prévention du cancer n’est donc pas tellement d’empêcher l’apparition de cellules cancéreuse­s (puisqu’elles se forment spontanéme­nt), mais surtout de retarder suffisamme­nt leur progressio­n pour qu’elles ne puissent atteindre le stade de cancer mature au cours des huit ou neuf décennies d’une vie humaine.

(1) Martincore­na I et coll. Somatic mutant clones colonize the human esophagus with age. Science, publié en ligne le 18 octobre 2018. (2) Brown LM et coll. Incidence of adenocarci­noma of the esophagus among white Americans by sex, stage, and age. J. Natl Cancer Inst. 2008; 100 : 1184-7.

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