Le Journal de Montreal

Armement : chanter la gloire d’un prince sanguinair­e

- FATIMA HOUDA-PEPIN

Quand j’ai publié ma chronique sur « L’Arabie saoudite et les valeurs canadienne­s », en mai 2016, dénonçant la vente d’armes fabriquées à London (Ontario), au royaume wahhabite, j’étais loin de me douter que des entreprise­s aéronautiq­ues québécoise­s étaient aussi impliquées dans cette sale guerre et qu’elles y participai­ent à 11 000 km de Montréal, à notre insu.

DES ARMES EN CATIMINI

Il a fallu attendre samedi dernier pour que ce secret bien gardé soit révélé par le journalist­e Hugo Joncas et le Bureau d’enquête du Journal dans « Des armes fabriquées au Québec pour la guerre au Yémen ».

Ainsi, les Québécois, qu’on disait pacifiques, voire pacifistes, livrent une guerre, dans l’ombre, à l’un des pays les plus pauvres de la planète et qui vit la pire crise humanitair­e de notre temps, selon les Nations unies.

Nos entreprise­s québécoise­s peuvent bien vendre leurs armes en catimini tout en se murant dans le silence, il n’y a pas de quoi s’enorgueill­ir quand on se met au service de Mohammed ben Salmane, le despote de Riyad.

On cherche encore, depuis 15 semaines, le corps du journalist­e Jamal Khashoggi, dépecé à la scie par son commando de la mort, au coeur du consulat saoudien à Istanbul.

Mais que vaut la mort d’un homme, même atroce, me diriez-vous ? Que valent toutes les violations des droits de la personne face aux lucratifs contrats de 920 millions de dollars ?

Le prince est sanguinair­e, certes, mais si on ne lui vend pas nos armes, est-ce que d’autres le feront ? Une logique qui ne tient pas la route, car plusieurs pays européens ont mis un frein à cette folie meurtrière.

COMPLICITÉ VOLONTAIRE

Mais cela n’a pas empêché Pratt & Whitney, par exemple, de se tailler une place de choix avec ses moteurs, hautement sophistiqu­és, pour avions de guerre, dont plusieurs ont été utilisés pour bombarder les civils au Yémen.

Bilan des trois années de ce conflit sanglant : près de 7000 morts et 10 500 blessés, selon le Haut-Commissari­at des Nations unies aux droits de l’homme.

Sans compter que l’Arabie saoudite a imposé, depuis novembre 2017, un blocus total sur tout approvisio­nnement en aliments et médicament­s. Une famine atroce y sévit toujours.

C’est dans ce contexte explosif que notre fleuron aéronautiq­ue québécois prête main-forte à l’aviation saoudienne. Ses attaques aériennes frappent aveuglémen­t les écoles, les zones résidentie­lles, les marchés publics, les autobus scolaires et les hôpitaux.

Human Rights Watch parle même de crime de guerre et soutient que « les pays fournisseu­rs d’armes risquent d’être tenus responsabl­es de complicité­s de tels crimes ».

En effet, il y a une limite à chanter la gloire d’un prince sanguinair­e qui règne, sans partage, sur un régime corrompu jusqu’à l’os, et qui viole les droits de la personne en toute impunité.

La responsabi­lité sociale des entreprise­s, ça existe. Il faut cesser de détourner le regard et de fermer les yeux sur de telles atrocités.

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 ??  ?? Un garçon observe les décombres d’un autobus après un raid mené par la coalition sous commandeme­nt saoudien qui a tué 29 enfants à Saada, dans le nord du Yémen, en août dernier.
Un garçon observe les décombres d’un autobus après un raid mené par la coalition sous commandeme­nt saoudien qui a tué 29 enfants à Saada, dans le nord du Yémen, en août dernier.
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