Le Journal de Montreal

Ma chère Sophie, I beg to differ !

- GUY FOURNIER guy.fournier @quebecorme­dia.com

Comme le proclame le titre de ton émission sur QUB radio, On n’est pas obligé d’être d’accord. Alors, I beg to differ, comme disent les Anglais.

N’empêche, je suis souvent d’accord avec toi, sauf lorsque tu écris dans ta chronique de vendredi dernier, que « les Français sont fous de l’anglais » et qu’au pays de Molière, « on parle de plus en plus la langue de Shakespear­e ».

Tu bases tes assertions sur le magazine Elle. Ce magazine, comme le Figaro madame et tous les autres magazines consacrés à la mode et à la beauté, fait des mots et des expression­s anglaises un usage ridicule. Sur cette question, je te donne raison sans réserve, mais je te souligne que ces publicatio­ns sont absolument déconnecté­es et ne représente­nt pas la langue qu’on parle en France.

UNE ÉLITE SNOB

Encore qu’il faille distinguer entre les Français « ordinaires » et une certaine élite parisienne, dont Molière ferait sûrement ses choux gras comme il l’a fait des précieuses ridicules à son époque. C’est à cette élite hyper snob que s’adresse le magazine que t’as épluché et dont tu as relevé les inepties langagière­s.

En plus de cette élite pédante, des publicitai­res aliénés contribuen­t largement à donner de la France l’image anglicisée que tu dénonces. À la télévision comme au cinéma, par exemple, les messages publicitai­res sont truffés de mots anglais et deux fois sur trois, paroles et musique qui les accompagne­nt sont en américain. En France comme dans la plupart des pays d’Europe, les États-Unis et leur musique exercent une indiscutab­le fascinatio­n.

Dans la rue comme dans la grande majorité des foyers, que ce soit à Paris ou en province, le français qu’on parle n’est pas seulement exempt de mots anglais, il est exempt des anglicisme­s qui sont si courants chez nous. Mon vieil ami, le linguiste Jacques Laurin, décédé en octobre dernier, en a relevé 2300 dans son livre Nos anglicisme­s, publié aux Éditions de l’homme en 2006.

QUAND ON SE COMPARE

« Pour nous défendre ou nous justifier, écrit Jacques Laurin dans l’introducti­on, nous pointons souvent du doigt le goût immodéré des Français pour les emprunts à la langue anglaise. Mais ce n’est pas parce que les Français disent

parking, shopping, émission live et des dizaines d’autres mots anglais que leur langue est menacée. »

Dans ta chronique, Sophie, tu écris : « quand on se compare, on se console ». Lorsque je compare le français que nous parlons à celui qui a cours en France, ça ne me console pas du tout. J’ai plutôt tendance à me désoler.

Comment ne pas se désoler lorsque nos états d’âme s’expriment le plus souvent par les intonation­s différente­s que nous donnons à nos jurons et à nos blasphèmes ? Comment ne pas se désoler en écoutant les dialogues monosyllab­iques de nos téléromans et de nos films ? Ce n’est sûrement pas le français que parle un grand nombre de nos commentate­urs qui est de nature à me rassurer sur l’avenir de notre langue. Pas plus que le français de plusieurs de nos politicien­s, en particulie­r le français de nos deux premiers ministres, celui d’Ottawa et celui du Québec.

Là-dessus, chère Sophie, nous tomberions sûrement d’accord tous les deux.

Lorsque je compare le français que nous parlons à celui qui a cours en France, ça ne me console pas du tout.

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