Le Journal de Montreal

Gare aux hommes forts

- claude.villeneuve @quebecorme­dia.com @vclaude CLAUDE VILLENEUVE

Quand Danny Williams était premier ministre de Terre-Neuve, il était tout-puissant.

Porteur d’un discours revendicat­eur pour sa province, l’homme fort de St. John’s faisait peur à tous les politicien­s du Canada, tant sa popularité personnell­e n’avait aucun comparable. Promettant de rendre aux Terre-Neuviens leur fierté perdue, l’ancien magnat des télécommun­ications et du pétrole sortait en ville les vendredis soirs avec sa grosse bagnole, et les gens adoraient ça.

Aussi, lorsqu’il a lancé en grande pompe le projet qui deviendrai­t son héritage, l’enthousias­me était délirant. Le complexe hydroélect­rique de Muskrat Falls au Labrador allait libérer Terre-Neuve de la tutelle du Québec grâce à son câble sous-marin vers la Nouvelle-Écosse, et des milliers d’emplois seraient créés.

Stephen Harper a consenti une garantie de prêt de 5 milliards, rallongée à 7,9 milliards par Justin Trudeau. Québec avait protesté devant ce soutien à un projet destiné à concurrenc­er Hydro-Québec, et s’était fait répondre que cela ne coûterait rien aux Canadiens et que Terre-Neuve avait bien le droit de se développer.

FIASCO

À un an de sa livraison, avec trois années de retard, le projet Muskrat Falls est un fiasco. Il a jusqu’ici coûté deux fois plus que prévu. À 12,7 milliards, ça correspond au double du coût du complexe La Romaine pour la moitié de sa capacité de production. Ça représente 35 % de la dette nette de la province, de loin la plus élevée par habitant au Canada. Pour le rentabilis­er, il faudra doubler les tarifs d’électricit­é. Terre-Neuve est au bord de l’insolvabil­ité. Et tous les Canadiens devront payer.

Bref, les Terre-Neuviens aiment pas mal moins Danny Williams aujourd’hui.

On pense à Donald Trump, dont les partisans ne démordent pas. La dette américaine atteint des sommets, l’influence de l’Amérique se ratatine, mais l’économie va bien, l’homme a connu du succès en affaires et sa femme est belle. Il peut bien le construire, son mur ! (En plus, il se vante de ne pas avoir payé ses impôts. C’est signe qu’il est futé...)

On pense aussi à Elvis Gratton qui, affaibli par la tourista, commente le discours d’Augusto Ricochet, dictateur nain de la république fictive de Santa Banana. « Heille, lui y sait ce qui veut. C’t’un gars qui se tient deboutte, y a pas la langue dans sa poche. C’t’un homme de même que ça nous prendrait ! Au moins, on saurait où ce qu’on s’en va. »

DEALMAKER

Ce qui nous ramène à notre gentille petite politique québécoise, où notre premier ministre est certes plus humble que Danny Williams, plus courtois que Donald Trump et plus légitime qu’Augusto Ricochet. Reste que François Legault s’est fait élire avec un programme remarquabl­ement mince, notamment sur le plan économique, s’appuyant sur le fait qu’il a fondé Air Transat et se qualifiant de « dealmaker ».

Dans la réalisatio­n de plusieurs de ses promesses, ses partisans nous invitent, pas toujours poliment, à le laisser travailler. L’implantati­on des maternelle­s 4 ans en est un exemple.

Or, cet engagement est déjà passé de 250 millions en campagne électorale à 700 millions aujourd’hui. Rien que ça, ça devrait suffire à allumer les voyants rouges.

Il est dangereux de suivre aveuglémen­t les hommes forts, même quand ils ont de bonnes manières. La démocratie est un système exigeant, mais elle nous invite à ne pas confier les clés du coffre à quelqu’un sur la seule base que « lui, y connaît ça ».

C’est ce que l’exemple terre-neuvien nous rappelle. Encore.

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Augusto Ricochet, dictateur nain de la république fictive de Santa Banana
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Analyste politique et rédacteur

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