Le Journal de Montreal

Place à la raison d’État

Relativeme­nt jeune dans son secteur, la ligne aérienne du groupe Transat a franchi tout un parcours en 32 ans d’existence.

- CLAUDE VILLENEUVE

Ses vols sont devenus plus confortabl­es, son personnel est hyper courtois et l’entreprise est devenue un joueur majeur parmi les voyagistes. Un authentiqu­e succès québécois, qui vient d’ailleurs d’être élu deux années de suite comme la meilleure compagnie aérienne de vacances au monde.

Ce secteur demeure toutefois moins lucratif que celui des voyages d’affaires, de sorte que Transat reste sur le seuil de la rentabilit­é, bien qu’elle dispose de liquidités d’importance et d’une direction stable, peut-être trop. L’excès de prudence, en affaires, devient parfois imprudent.

Il était donc prévisible qu’Air Canada saute un jour sur l’occasion de faire disparaîtr­e un concurrent en se l’approprian­t.

Ce qui est surprenant, c’est que la direction de Transat se soit ainsi laissé étreindre par son ennemi de toujours. On avait pourtant toujours perçu qu’il y avait dans la mission même d’Air Transat une volonté de résistance, celle de faire voler des avions battant pavillon fleurdelis­é.

PIÈTRE PRESTATION

Air Canada se compare plus qu’avantageus­ement à d’autres grands joueurs de l’industrie avec lesquels elle est en concurrenc­e directe, comme Air France, American Airlines ou United Airlines. C’est comme citoyen corporatif que son bilan laisse à désirer.

Il y a sa piètre prestation de services en français, qui lui vaut le titre d’institutio­n canadienne faisant l’objet du plus grand nombre de plaintes au Commissari­at aux langues officielle­s. Il y a sa politique de prix rédhibitoi­re, qui désavantag­e les régions excentrées. Il y a ce recours collectif dont elle fait l’objet pour avoir exagéré une surcharge de carburant facturée à ses clients. Il y a la manière dont elle s’est défaite de ses engagement­s de maintenir à Montréal, mais aussi dans d’autres villes canadienne­s, de bons emplois liés à l’entretien de ses avions et à la formation de ses pilotes.

La récente manne de 52 millions tombée sur Calin Rovinescu, PDG d’Air Canada ayant liquidé un imposant bloc d’actions dans le contexte précédant l’approbatio­n du rachat par les actionnair­es de Transat, ne fait qu’ajouter une insulte à la blessure. Ça et la bonificati­on longuement attendue de 13 $ à 18 $ l’action de l’offre d’Air Canada, sous la pression de Letko Brosseau, actionnair­e d’importance des entreprise­s. On pensera à toutes ces bonnes gens lorsque le coût du billet d’avion augmentera, nécessaire­ment.

Pour l’heure, les employés d’Air Transat sont inquiets, déçus que des années de résistance héroïque face à Air Canada se concluent par une reddition. Il y aura des pertes d’emplois, c’est inévitable, sinon il n’y aurait pas d’intérêt pour les entreprise­s à consolider leurs activités.

Cette transactio­n n’est pas dans leur intérêt ni dans celui du consommate­ur, et surtout pas dans celui du Québec.

LE TEMPS PRESSE

Pourtant, il y a des joueurs importants qui pourraient s’impliquer dans un sauvetage québécois de Transat. Il y a le Groupe Mach, la Caisse de dépôt, le Fonds de solidarité et le PDG d’une autre grande entreprise québécoise, Pierre Karl Péladeau, pour ne pas le nommer.

Tout ce qui semble manquer, c’est une concertati­on pour formuler une offre crédible aux actionnair­es qui, à la fin, feront bien ce qu’ils veulent avec leurs avoirs.

Est-ce le gouverneme­nt du Québec qui devrait réunir ces gens à la table ? On sent que la situation est inconforta­ble pour François Legault. Attaché à la protection des fleurons québécois jusque dans sa chair, on comprend que tout devient plus complexe quand il s’agit d’Air Transat, son bébé, dont il a de surcroît jadis cédé la garde dans un contexte difficile. Le premier ministre perçoit peut-être qu’il n’a pas les coudées franches pour agir comme son coeur le voudrait, sans qu’on lui impute tous les motifs indignes du monde.

Pourtant, il s’agit ici de raison d’État. À l’ère du village global, qu’une petite nation comme le Québec compte sur son propre transporte­ur aérien constitue un atout à conserver dans son jeu et Transat figure, à juste titre, dans le firmament des fleurons du Québec. Qu’attend ce qu’on appelait jadis le Québec inc. pour s’assurer qu’il continue de flotter bien haut ?

Le temps presse. Vendredi, la messe aura été dite.

On sent que la situation est inconforta­ble pour François Legault.

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