Le Journal de Montreal

LA MÉDECINE À DEUX VITESSES DE PLUS EN PLUS POPULAIRE

Près de 70 docteurs ont quitté le réseau public temporaire­ment depuis un an pour soigner des patients au privé

- HÉLOÏSE ARCHAMBAUL­T Journal.

La « médecine à deux vitesses » est de plus en plus populaire auprès de certains médecins spécialist­es, qui quittent temporaire­ment le réseau public plusieurs fois durant l’année pour soigner au privé des patients prêts à payer le fort prix.

Depuis un an, 67 médecins spécialist­es se sont désaffilié­s de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) au moins une fois, avant de revenir dans le réseau public, selon les données compilées par Le Journal.

Généraleme­nt, ces docteurs restent au privé pour huit jours, soit le minimum permis par la loi (voir en page 4).

Pour éviter la liste d’attente du public, des patients sont prêts à payer le fort prix au privé. À l’Institut de l’oeil des Laurentide­s, la chirurgie de la cataracte coûte 1200 $. À Radiologie Montérégie, une échographi­e coûte au moins 160 $, mais peut être faite en une semaine, nous a-t-on dit.

« C’est de la médecine à deux vitesses », concède la docteure Diane Francoeur, présidente de la Fédération des médecins spécialist­es du Québec (FMSQ).

MANQUE D’ACCÈS AUX BLOCS

Selon plusieurs, le manque d’accès aux blocs opératoire­s et aux cliniques externes dans les hôpitaux fait en sorte que des spécialist­es sortent du réseau public. Une façon qui leur permet de voir plus de patients et d’augmenter leur revenu.

« Ça me met en furie. Je voudrais que les médecins puissent travailler à l’hôpital, mais ce n’est pas le cas maintenant », déplore Dre Francoeur.

Nul doute que ce va-et-vient est de plus en plus populaire : seulement 19 spécialist­es l’avaient fait en 2016. Depuis un an, 16 pneumologu­es et 15 radiologis­tes ont fait le saut.

Affilié au Centre hospitalie­r de l’Université de Montréal, le pneumologu­e Joseph Braidy l’a fait neuf fois en un an

(voir en page 4). En préretrait­e, ce spécialist­e travaille dans les deux systèmes depuis l’abolition des frais accessoire­s.

« Moi, ça m’est égal. Ce qui est important, c’est que le patient ait son interpréta­tion du test faite le plus tôt possible [...] C’est le même test, le même malade, le même genre de travail », dit-il.

Par ailleurs, des cliniques entièremen­t privées exploitent ce stratagème de façon optimale. Notamment, la clinique Radiologie Montérégie peut compter presque en tout temps sur un radiologis­te au privé, grâce à un horaire bien planifié (voir en page 4).

Le reste du temps, ces docteurs travaillen­t à l’hôpital Pierre-Boucher, à Longueuil. La direction n’a pas rappelé Le Journal.

Un horaire similaire est en place à l’Institut de l’oeil des Laurentide­s. La direction a refusé de nous répondre.

« JE PEUX VOUS VOIR AU PRIVÉ DANS TROIS MOIS »

Selon le professeur Damien Contandrio­poulos, qui étudie ce phénomène depuis plusieurs années, ces pratiques sont « éthiquemen­t inacceptab­les », puisque le réseau public sert de bassin de recrutemen­t pour le privé.

« Pour les médecins, c’est un monopole total du système », dit ce professeur à l’Université de Victoria, déplorant la lenteur du gouverneme­nt à interdire ces pratiques.

« Le médecin dira au patient : “Je peux vous voir dans trois mois dans ma clinique privée.” Systématiq­uement, il s’autoréfère les patients rentables », dit-il, ajoutant que des docteurs sont attirés par le gain financier.

Bien qu’elle défende le réseau public, la présidente de la FMSQ prédit que la désaffilia­tion gagnera en popularité si l’accès au réseau public n’est pas amélioré.

« Les listes d’attente augmentent, les médecins se tannent, ils se désaffilie­nt pour le faire au privé. La vraie question doit être : Comment se fait-il qu’on tolère ça ? » demande Dre Francoeur.

L’Associatio­n des radiologis­tes du Québec a refusé la demande d’entrevue du

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PHOTO D’ARCHIVES De plus en plus de médecins spécialist­es quittent temporaire­ment le réseau public pour aller soigner des patients au privé. Plusieurs ophtalmolo­gistes l’ont d’ailleurs fait au cours de la dernière année.

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