Le Journal de Montreal

L’urgence de protéger nos données personnell­es

- Jean-Denis Garon est professeur à l’ESG-UQAM. JEAN-DENIS GARON jean-denis.garon@quebecorme­dia.com

Plusieurs pays permettent de geler le dossier de crédit d’un particulie­r lorsque celui-ci a fait l’objet de fraude. Dans un communiqué, le ministre Eric Girard a annoncé qu’il déposerait un projet de loi à cet effet cet automne.

Il aura fallu le scandale Desjardins pour faire bouger le gouverneme­nt.

S’il s’agit d’une bonne nouvelle, l’annonce du ministre laisse quand même place à réflexion : il semble qu’aucun encadremen­t spécifique ne sera imposé à Desjardins.

ACTIFS DE GRANDE VALEUR

Québec dispose d’une occasion en or de légiférer pour protéger les données personnell­es des Québécois. Pourtant, sa démarche reste timide.

Dans le monde numérique actuel, la valeur de nos données personnell­es constitue un actif que de grandes entreprise­s utilisent à notre insu.

À titre d’illustrati­on, la société mère de Google vaut présenteme­nt plus de 800 milliards de dollars américains en bourse. Facebook vaut plus de 520 milliards de dollars américains.

Les plus grands actifs que possèdent ces entreprise­s sont nos données personnell­es.

Les entreprise­s du web ont un inquiétant curriculum en matière d’utilisatio­n de nos données. Elles les ont régulièrem­ent utilisées de façon immorale, sinon illégale.

Il y a eu le scandale de Cambridge Analytica, chez Facebook. Les fuites ont probableme­nt permis à la Russie d’intervenir dans la campagne électorale américaine.

Et des révélation­s selon lesquelles des bogues dans les systèmes de Google permettaie­nt à l’entreprise d’enregistre­r certaines de vos conversati­ons privées.

Le nouveau copain de Desjardins, Equifax, a « perdu » les données personnell­es de millions de clients. Et que dire de Capital One ?

DOUBLE DISCOURS

Vous comprendre­z ma perplexité lorsque je vois le gouverneme­nt Legault insister pour stocker 80 % de ses données dans les serveurs de ces entreprise­s privées.

Nos données font partie de nos portefeuil­les d’actifs. Leur valeur nous appartient individuel­lement.

Si la Caisse de dépôt et placement liquidait vos actifs de retraite sous vos yeux, de façon imprudente, le Québec serait à feu et à sang. Le premier ministre Legault serait le premier à hurler. Et à agir.

Mais nous n’avons pas le choix de confier nos données au gouverneme­nt. L’État a donc doublement le devoir de les protéger et de nous mettre en confiance. Pourquoi nous vendre ? Parce qu’en stockant nos données dans des serveurs du secteur privé, le gouverneme­nt du Québec espère épargner 100 millions par an.

100 millions $ annuelleme­nt, c’est l’équivalent de 1,04 $ par mois, par Québécois.

C’est moins cher qu’un café. Pour votre gouverneme­nt, votre vie privée ne vaut même pas un sac de chips par mois !

Le ministre responsabl­e de cet entêtement, Éric Caire, se justifie en énumérant les failles de sécurité du système public actuel.

Voilà une logique boiteuse.

S’il fallait qu’on privatise tout ce qui ne fonctionne pas parfaiteme­nt, où serions-nous ?

Des solutions publiques existent, notamment la création d’une société d’État responsabl­e de la gestion des données.

C’est ce que plusieurs experts suggèrent. Des experts que le gouverneme­nt a décidé de ne pas écouter.

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