Le Journal de Montreal

Payer son journal

- BOCK-CÔTÉ mathieu.bock-cote@quebecorme­dia.com

On s’inquiète beaucoup, depuis lundi, du sort des quotidiens régionaux rassemblés sous le parapluie du Groupe Capitales Médias, aujourd’hui en faillite. Pour sauver les meubles et se donner le temps de réfléchir, le gouverneme­nt du Québec vient de débourser 5 millions. Mais il s’agit évidemment d’une solution temporaire, à très court terme.

Les grands journaux connaissen­t aujourd’hui une crise majeure partout dans le monde occidental, et chacun cherche la solution magique pour demeurer rentable devant une révolution technologi­que qui n’en finit plus de bouleverse­r notre manière de vivre en société.

GRATUITÉ

Il n’en demeure pas moins qu’un élément, dans cette situation, me semble central : la culture de la gratuité qui s’est développée dans le domaine de l’interventi­on. En l’espace d’une quinzaine d’années, une réalité semble avoir disparu de l’esprit public : produire un journal coûte cher. Il faut payer ses artisans, qu’ils soient journalist­es, chroniqueu­rs ou technicien­s. Il faut payer sa conception, et s’il dispose encore heureuseme­nt d’une édition papier, sa fabricatio­n matérielle et sa distributi­on.

On me dira que je rappelle ici des choses évidentes pour tout le monde. Peut-être. Mais ils sont de plus en plus nombreux à refuser d’en tirer des conséquenc­es.

Pourtant, lorsqu’on le rappelle aux internaute­s, ils se choquent. J’ai pu le constater, chaque fois avec perplexité : lorsqu’on partage sur Facebook ou Twitter un article payant (en gros, il faut soit l’acheter, soit s’abonner à la publicatio­n pour le lire), on a droit à une réaction courroucée. C’est un peu comme si les lecteurs se sentaient insultés à l’idée de devoir payer pour ce qu’ils lisent. Payer pour ses informatio­ns relèverait de l’ancien temps.

Bien honnêtemen­t, je ne parviens pas à comprendre. Ne voient-ils pas qu’en réagissant ainsi, ils s’opposent dans les faits aux conditions élémentair­es assurant la vitalité des journaux ou des revues qu’ils apprécient ? Accepterai­ent-ils, eux, de travailler bénévoleme­nt ?

Il faudrait rappeler à nos concitoyen­s que la presse est essentiell­e en démocratie pour se forger une pensée et se donner une culture politique. Sans journaux, l’espace public serait désertique et le débat se mènerait dans le vide sur les réseaux sociaux. Les opinions flotteraie­nt et s’entrechoqu­eraient sans reposer sur des faits. C’est la qualité du débat démocratiq­ue qui dépérira alors inévitable­ment.

On serait tenté, pour cela, d’inviter nos concitoyen­s à s’abonner de nouveau aux journaux et magazines qu’ils lisent. Est-ce encore imaginable ?

Personnell­ement, je suis abonné à plusieurs magazines et revues, et c’est

chaque fois un peu Noël lorsqu’on me livre un exemplaire par la poste.

DIVERSITÉ

Cela implique une chose, toutefois : que les médias renouent avec leurs lecteurs. Une presse en santé est une presse plurielle, capable de refléter la diversité des idées et perspectiv­es qu’on retrouve dans la société. C’est aussi une presse exigeante, qui permet non seulement de s’informer au jour le jour, mais de réfléchir sur les grandes tendances qui font une époque.

Peut-être que la renaissanc­e des médias passera en partie par une renaissanc­e de la culture du débat au Québec ? Il est permis de l’espérer.

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L’informatio­n a un prix.
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