2017, il atteint le point de non-retour
L’anxiété d’Alexandre Bissonnette était à son comble dans les semaines avant le drame et cela l’incitait à boire
« Des idées alimentées par des préjugés. Des idées racistes », a expliqué Marc André Lamontagne en entrevue avec notre Bureau d’enquête. Ces derniers se sont forgés dans ses lectures sur le web, dans son appréciation de la politique canadienne et américaine, dans la campagne électorale de Donald Trump.
Selon le psychologue Lamontagne, Bissonnette considérait l’immigration comme une menace réelle. « Il considérait les musulmans comme une menace. Clairement, il avait des préjugés. L’idée qu’il se dise qu’il pouvait y avoir un terroriste à la mosquée… il y a une part de racisme. »
« Il a transféré une haine de la société, sa haine des gens qui l’ont intimidé. Il l’a projetée à l’extérieur et il s’est trouvé une défaite. Il s’est dit dans les musulmans, il y a des terroristes… C’est comme ça que sa cible est arrivée », ajoute Marie-Frédérique Allard.
UN CARNAGE ÉVITÉ
Puis l’automne 2016 apporte son lot d’idées noires dans la tête d’Alexandre Bissonnette. Il demeure triste, déprimé, stressé et isolé dans son propre monde. Il lit constamment sur le suicide, les tueries, le terrorisme et l’immigration.
Il mentionne qu’il « n’y avait rien de personnel » et qu’il n’était pas fâché lorsqu’il croisait des étudiants étrangers.
Mais ses idées suicidaires sont de plus en plus envahissantes. Il se répète qu’il doit passer à l’acte.
Le 26 novembre, Bissonnette va chercher ses armes chez ses parents. Il a un plan. Il a son ordinateur, deux pistolets et 50 balles.
Il ne se sent pas bien et est très anxieux. Il a des palpitations. Il boit une demi-bouteille de vin pour se calmer, puis il achète un cooler. Il se rend au centre d’achat Laurier Québec en voiture avec ses armes. Il se stationne dans le souterrain du centre commercial.
Il a de fortes idées suicidaires et décide de « faire quelque chose à la Place Laurier ». Il charge ses armes.
Mais il a peur que les policiers viennent les chercher. Alors, il part et consomme de l’alcool à nouveau. Le breuvage lui donne le courage de revenir dans le stationnement.
Il entre au Starbucks avec son ordinateur et ses armes chargées.
Son objectif est d’écrire un message sur Facebook afin d’expliquer son geste.
Il reste assis longtemps sans rien faire. Il écrit un message et l’efface ensuite.
« Finalement, je n’ai rien fait, a-t-il relaté à la psychiatre Allard. Sinon, je n’aurais pas eu le choix […]. C’est comme si je n’en revenais pas que j’allais faire ça. »
Il ne voulait pas tuer des innocents dans le centre commercial. Après cet événement, Bissonnette est devenu encore plus anxieux.
« Je m’étais fait un scénario que la caméra m’avait vu dans le stationnement », a-til relaté. Il pensait constamment à ça. Il dormait mal. Il garde un couteau avec lui en permanence.
MÉDICAMENTS ET ALCOOL
À la suite de cet événement, Bissonnette consulte son médecin Clément Nolin à la Clinique médicale des Campaniles. Il lui prescrit du Luvox pour son anxiété.
De plus, au cours des dernières années, la consommation d’alcool de Bissonnette avait augmenté. Elle était variable, mais il pouvait boire trois à quatre fois par semaine.
« Ça pouvait être beaucoup », admet le tueur à la psychiatre Allard.
Il dit qu’il pouvait boire une bouteille de vin puis retourner au dépanneur acheter une bière de 750 ml à 8 % pour s’enivrer et diminuer ses symptômes d’anxiété.
« Ça me rend comme une autre personne. J’ai plus peur de rien, a-t-il expliqué à la Dre Allard. Ça me remonte le moral pendant un instant. »
Sauf qu’ensuite, les symptômes revenaient avec force. Il pouvait consommer avant de se rendre au travail ou en classe.
Durant le mois de décembre 2016, Bissonnette a justement de la difficulté à se rendre au travail et laisser ses armes. Une crainte qui s’amplifie, comme celle de se retrouver en prison. Il se sent très déprimé, « comme en phase terminale d’un cancer ».
Il a dit à son père qu’il était inquiet parce qu’il avait tiré dans le bois avec une arme, sachant que ce n’était pas légal. Raymond Bissonnette a dû le rassurer.
Il a également pensé tuer ses camarades à l’université parce qu’il se sentait triste et en colère. « Personne ne me parlait », a-t-il confié. Il trouvait ses camarades individualistes.
Cependant, il ne s’est jamais senti persécuté par les camarades d’université.
Le 28 décembre 2016, Bissonnette va chez sa tante pour une soirée. Il part tôt, craignant de se faire arrêter par la police encore en raison de ses armes. C’est ce soir-là qu’il passe devant le Centre culturel islamique.
« Je commençais à avoir cette idée-là », relate Bissonnette à la psychiatre Allard.
Il essaie ainsi de rationaliser son geste. Il y avait « certainement un tueur radical » dans la mosquée, se disait-il pour justifier son idée d’aller tuer des gens à cet endroit.
La psychiatre Marie-Frédérique Allard souligne qu’il s’agit d’un comportement très « narcissique ». Qu’il s’agit d’un garçon qui fait de la distorsion cognitive. Par exemple, il avait certaines croyances très particulières par rapport à la mort.
Au début 2017, l’anxiété de Bissonnette est au maximum. Il a de la difficulté à se rendre au boulot. Il consulte à nouveau un médecin qui lui change sa médication, puis lui signe un arrêt de travail.
Il abandonne également sa session d’université qu’il ne considère « plus importante ».
À ce moment, il se trouve des excuses pour rester chez ses parents, dans sa chambre, où il a rapporté ses armes. Il ne veut plus dormir à l’appartement.
Après discussion, ses parents acceptent qu’il reste à la maison. Le psychologue Marc-André Lamontagne indique que Bissonnette est ainsi capable de « manipulation ».
Du 1er janvier au 29 janvier 2017, Bissonnette s’abreuve sur internet d’histoires sur le suicide, les tueries de masse et leurs auteurs. Il regarde YouTube et écoute de la musique en lien avec des massacres.
Alexandre montre à son père des vidéos d’un site « proarme ». Raymond Bissonnette a mentionné à la psychiatre Marie-Frédérique Allard qu’il savait que son fils regardait de telles vidéos. Il a également indiqué que son fils n’aimait pas la chasse, mais qu’il aimait aller au club de tir.
Plus le mois de janvier avance, plus Bissonnette est stressé et anxieux que les policiers lui enlèvent ses armes. Il craint aussi que ses parents constatent qu’il ne va pas bien.
Il boit aussi beaucoup d’alcool. « L’alcool a joué un rôle. Ça l’a beaucoup désinhibé. Il consommait beaucoup. Je ne pense pas que ses parents se rendaient compte qu’il buvait autant que ça », indique la Dre Allard.
GESTE HAINEUX
Contrairement à son plan à Laurier Québec, où Bissonnette voulait s’en prendre à tout le monde, il décide qu’il se rendra à la mosquée.
« J’avais réussi à me convaincre qu’à la mosquée, c’est tous des fanatiques », a-t-il déclaré lors de son évaluation de dangerosité.
« C’est clair que c’est un geste haineux. Mais c’est une haine beaucoup plus large que la haine de la communauté musulmane », affirme Marie-Frédérique Allard.
Pour le psychologue Marc-André Lamontagne, Bissonnette voulait devenir Dieu.
« Il a tenté de se convaincre qu’en faisant ça, il pourrait se venger, il pourrait être tout puissant et guérir la partie impuissante de lui-même. Mais il n’était pas capable de le faire sur n’importe qui. Rendu là, on voit qu’il a un raisonnement assez bancal. »
Alexandre Bissonnette a admis lors de ses évaluations de dangerosité qu’il était incapable de reconnaître un fanatique ou un terroriste. « Il a tenté de légitimer son geste, souligne M. Lamontagne. Ça prenait beaucoup de distorsion pour faire ça. »
D’ailleurs, selon tous les spécialistes en santé mentale qui ont analysé le dossier, Alexandre Bissonnette n’est pas un terroriste, mais il s’agit d’une personne raciste.
La tuerie de la mosquée a coûté la vie à six citoyens de Québec, soit Ibrahima Barry, Mamadou Tanou Barry, Khaled Belkacemi, Abdelkrim Hassane, Azzeddine Soufiane et Aboubaker Thabti.
Le drame a également fait huit blessés et 17 orphelins. Trente-neuf fidèles se trouvaient dans la mosquée ce soir-là.
√ Une fois derrière les barreaux, Bissonnette mentira à nouveau. Après avoir triché pour obtenir son permis de port d’arme, il soutiendra qu’il entendait des voix. Un mensonge pour protéger ses parents, pour expliquer son geste, dira-t-il.
Il a plaidé coupable aux accusations de meurtre et a écopé d’une peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant d’avoir purgé 40 ans. Une peine qui fera l’objet d’un appel prochainement.