Le Journal de Montreal

Richard Latendress­e

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Ce n’est pas tous les jours qu’un héros, qu’une idole, qu’une légende meurt et qu’on s’exclame « Bon débarras ! ». C’est pourtant ce qu’inspire la mort de Robert Mugabe, libérateur et tortionnai­re du Zimbabwe.

Comme tant d’autres individus qui ont marqué l’histoire, Robert Mugabe est un monument de paradoxes. Il était brillant et valorisait l’éducation, accumulant lui-même les diplômes universita­ires. Il a d’ailleurs laissé à ses compatriot­es un des meilleurs systèmes d’éducation primaire et secondaire d’Afrique.

Mugabe a eu le courage de ses conviction­s, perdant dix ans de sa vie dans les prisons de la Rhodésie raciste. Héros national grâce à sa lutte contre les suprématis­tes blancs, il ne s’est pas montré avare de son succès, se faisant le champion du panafrican­isme et de l’émancipati­on du continent.

Le personnage est pourtant détestable. Il a trahi les idéaux du mouvement de libération qu’il a mené en s’installant au pouvoir au lendemain de l’indépendan­ce, perpétrant au fil de trente-six ans de tyrannie pratiqueme­nt toutes les violations des droits de la personne possibles.

CORROMPU, BOURREAU, MEURTRIER

Dans un pays pourtant arraché à la ségrégatio­n et au racisme, Robert Mugabe a exploité les tensions ethniques pour se débarrasse­r de ses ennemis politiques. Quelques années à peine après l’indépendan­ce, il a lancé ses forces de sécurité – formées par la Corée du Nord – contre la communauté ndébélé, une des deux grandes ethnies du pays, qui soutenait un de ses rivaux. Le massacre a fait entre 8000 et 30 000 morts.

Vingt ans plus tard, il poussait ses partisans à s’attaquer aux derniers propriétai­res terriens blancs, les chassant sans compensati­on. Le pays n’a fait, par la suite, que s’enfoncer toujours un peu plus dans la crise et la misère. On souffre même de la faim aujourd’hui dans l’ancien « grenier de l’Afrique ».

Son aura de champion de lutte anticoloni­aliste lui a longtemps permis de masquer sa pauvre gestion des richesses du pays et la brutalité de son pouvoir. Il entretenai­t aussi une très haute idée de lui-même. Ainsi, le jour de ses 88 ans, faisant référence aux épreuves qu’il avait surmontées, il se vantait d’avoir « battu le Christ, qui lui n’est mort et n’est ressuscité qu’une seule fois ».

Insolent et cynique, il s’est permis de critiquer Nelson Mandela en Afrique du Sud pour avoir choisi la réconcilia­tion avec la minorité blanche. Charismati­que jusqu’à la fin, il a été ovationné, à 92 ans, par les représenta­nts de l’Union africaine, après un discours incisif contre l’impérialis­me et l’homosexual­ité.

DIS-MOI QUI TU FRÉQUENTES…

Les Africains rendent hommage au combattant anticoloni­aliste et on les comprend. Cela dit, quand les louanges viennent de la Russie de Vladimir Poutine ou de la Chine de Xi Jinping qui salue le « dirigeant politique exceptionn­el », on saisit que Robert Mugabe était loin d’être ancré dans le camp démocrate. En d’autres mots, à héros de la lutte anticoloni­ale égal, Mugabe n’était pas Mandela.

On souligne, ces années-ci, six décennies d’indépendan­ce africaine. Entre 1956 et 1962, la France laissait aller ses colonies, alors que les Britanniqu­es étiraient, pendant encore quelques années, le contrôle sur leurs possession­s.

La pénible transition du Zimbabwe, de colonie britanniqu­e raciste à pays indépendan­t ruiné, nous rappelle que le boulet de la colonisati­on reste lourd à porter. Espérons qu’avec la mort de Robert Mugabe, le cauchemar des Zimbabwéen­s prendra bientôt fin.

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