Le Journal de Montreal

Un anxieux qui se soigne

Toute sa vie, Martin Enault a été rongé par l’anxiété chronique, la dépression et les crises de panique

- DAVID RIENDEAU Collaborat­ion spéciale

« QUAND JE SENS LES PREMIERS SIGNES D’UNE CRISE, JE PRENDS UN TEMPS D’ARRÊT. JE ME CONCENTRE SUR UNE IDÉE POSITIVE ET JE PRENDS DE GRANDES RESPIRATIO­NS »

Jeune doué en informatiq­ue, Martin Enault a connu un impression­nant parcours dans les nouvelles technologi­es. Mais derrière l’image de brillant entreprene­ur, se cachait un homme rongé par l’anxiété chronique, la dépression et les crises de panique. Maintenant qu’il a repris le dessus, il milite pour une plus grande prévention en santé mentale.

« Les gens doivent comprendre que la santé mentale est un enjeu de société majeur qui peut affecter n’importe qui. L’anxiété atteint des taux inquiétant­s chez les jeunes, et il faut prendre la question à bras-lecorps. Ça passe par une meilleure prévention », souligne l’homme de 37 ans qui reçoit le Journal dans son bureau du Vieux-Montréal.

Les problèmes d’anxiété de Martin remontent à l’adolescenc­e. Il se décrit comme un garçon timide et renfermé, passionné d’informatiq­ue et de natation. « À 15 ans, j’étais très anxieux, mais j’associais cela au stress de mes compétitio­ns de natation. Aussitôt que l’adrénaline retombait, je faisais une crise de panique. Ma vue s’embrouilla­it. J’avais des sueurs froides et des palpitatio­ns. Je croyais que j’étais en train de mourir. »

À 18 ans, il a fondé sa propre compagnie de consultati­on en informatiq­ue, parallèlem­ent à ses études au cégep. Trois ans plus tard, Ticketpro, une compagnie de vente de billets en ligne, le recrutait comme directeur technologi­que pour sa nouvelle filiale canadienne. Accepter l’emploi signifiait devoir mettre de côté ses études contre la volonté de sa famille. « La pression était énorme. Je me réveillais à 6 heures du matin totalement anxieux et j’avais des idées suicidaire­s. De peine et de misère, j’entrais au bureau à 9 heures. Les fins de semaine, je restais enfermé chez moi sans voir personne. »

Martin a commencé à consulter différents psychologu­es et médecins pour comprendre ce qui lui arrivait. Cependant, quand venait le temps d’expliquer son problème, il cherchait à minimiser le tout. « Je disais que ce n’était rien de grave, alors que j’avais besoin d’aide. » Quant à ses proches, ils n’étaient pas au courant. « J’étais en dissimulat­ion constante. »

« ACCRO » À L’ADRÉNALINE

En 2005, Martin est devenu directeur général de Ticketpro. À 23 ans, il avait 150 employés sous sa responsabi­lité et travaillai­t plus de 80 heures par semaine. « Je m’étais mis une pression énorme sur les épaules, car je devais prouver que je n’étais pas un imposteur. Pendant ce temps, je devenais moins empathique et j’accumulais beaucoup de rage. »

Pour Martin, la seule façon d’apaiser son anxiété était de se retrouver sous l’effet de l’adrénaline liée à un horaire du temps surchargé et de plus grandes responsabi­lités. « J’étais devenu accro à l’adrénaline. Je forçais sur mon horaire pour être toujours à la course et je pensais que mon problème était réglé. Aussitôt que je tombais à plat, je faisais une autre crise de panique. » Pendant cette période, il se souvient être allé à l’hôpital à trois reprises, croyant souffrir d’une crise cardiaque.

En 2008, Martin avait atteint le fond du baril. Il s’est absenté deux mois du travail pour raison de santé. L’une de ses relations d’affaires, le producteur Guy Latraverse, lui a parlé de Revivre, un organisme de soutien aux personnes qui souffrent d’anxiété, de dépression et de bipolarité, dont il était le président. « Je m’étais déjà confié à Guy à propos de mes problèmes. Il savait que me retrouver dans un groupe de soutien ne m’intéressai­t pas, donc il m’a offert de m’impliquer dans le conseil d’administra­tion. À mesure que je me renseignai­s sur le sujet, j’ai découvert que je n’étais pas le seul à vivre cette situation. Je comprenais ce que j’avais. » L’année suivante, Martin partait à son compte afin de prendre du temps pour luimême. Incidemmen­t, les crises de panique se sont espacées.

RETOUR À LA CASE DÉPART

Martin a profité de ses temps libres pour plancher sur un concept d’entreprise

basée sur une nouvelle technologi­e de contrôle d’accès et de paiement pour les grands événements. Quelques mois plus tard, il cofondait Intellitix. Après une première expérience concluante au Festival d’été de Québec en 2010, sa start-up a été remarquée par les organisate­urs de Coachella, l’un des plus importants festivals musicaux au monde, qui attire 100 000 visiteurs chaque année en Californie. La compagnie a connu un succès fulgurant. « J’ai eu une année de fou. Je faisais 100 heures par semaine pour mettre sur pied une équipe aux États-Unis et en Europe qui allaient implanter la technologi­e dans plusieurs festivals d’envergure. » Séjournant une semaine sur deux à l’étranger, mangeant mal, dormant peu, Martin dépérissai­t à petit feu. Il avait perdu entre-temps 15 livres.

En 2012, alors qu’il se trouvait au festival de musique de Lollapaloo­za, aux ÉtatsUnis, il a craqué. « Je suis rentré dans ma chambre d’hôtel. Je me suis mis à pleurer pendant que tout le monde me cherchait. Je ne pouvais plus continuer. »

De retour à Montréal à l’automne 2012, il a pris la dure décision de vendre ses parts à un prix dérisoire et de quitter son poste.

L’année suivante, l’organisati­on de la conférence C2 Montréal lui a offert un emploi de vice-président technologi­e. « J’avais plus de liberté et j’ai repris confiance en moi. Rapidement, j’ai voulu me prouver. » Martin a gravi les échelons de l’entreprise jusqu’au poste de PDG. Tout allait relativeme­nt bien pour lui jusqu’à ce que C2 décide d’organiser un autre événement à Melbourne, en Australie. « Rendu là-bas, je suis revenu à mes mauvaises habitudes. J’étais une fois de plus retombé dans le panneau. »

Les crises de panique redevenant toujours plus fréquente, poursuivre l’aventure de C2 en Australie était au-delà de ses forces. L’événement a été annulé. « Je pensais être passé au travers, mais la dépression m’attendait une fois de plus. J’ai vécu un grand sentiment d’échec. »

L’ÉQUILIBRE

De retour au Québec fin 2018, Martin est devenu chef de l’exploitati­on de Felix & Paul, un studio montréalai­s spécialisé en réalité virtuelle. Ce nouvel emploi a été pour lui l’occasion de mettre ses limites dans son horaire.

« Oui, j’ai de grosses semaines, mais je prends plus de temps pour moi. » Il a également adopté de meilleures habitudes de vie. Il sort moins, il cuisine plus, il s’accorde de bonnes nuits de sommeil et il fait plus d’exercices.

Pour gérer son anxiété et prévenir ses crises de panique, Martin met en applicatio­n les conseils du programme d’autogestio­n « J’avance » de l’organisme Revivre, dont il est désormais le président.

« Quand je sens les premiers signes d’une crise, je prends un temps d’arrêt. Je me concentre sur une idée positive et je prends de grandes respiratio­ns. Ça passe 95 % du temps. L’important, c’est de garder l’esprit occupé sur une chose extérieure à son problème. »

Enfin, Martin s’accepte tel qu’il est et ne cherche plus à cacher sa condition à ses proches. « La première étape pour s’en sortir, c’est d’en parler. »

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PHOTO CHANTAL POIRIER Martin Enault a retrouvé un meilleur équilibre après avoir connu des problèmes d’anxiété chronique et des crises de panique.

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